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    … Je pris donc le vapeur à trois heures et fût débarqué à Blaye,

    petite ville presque insignifiante…


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    Représentation schématique du cheminement emprunté par Jean Baptiste


    (Les premières pages de ce chapitre sont malheureusement manquantes)

    Retour à Epannes – Séjour à Surgères

    Le tirage au sort - La mort de mon père

    Séjour à Epannes

     

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    En cliquant sur les documents, vous obtiendrez une image agrandie 

     

      J’avais peur de manquer le bateau, je ne puis donc vous dire sur ce qui regarde Bordeaux; j’ai vu seulement la rade où plus de six cents navires sont mouillés, la Bastide où est la gare du chemin de fer de l’autre côté de la Garonne c’est le centre le plus gai de Bordeaux, la vaste Place des Quinconces où se passent les revues militaires. On m’a dit aussi qu’il y avait un vaste théâtre des plus beaux de France. Je suis fâché de laisser cette ville sans donner un peu plus grand détail, mais comme je ne décris ici que ce que j’ai vu, c’est ce qui me force de m’arrêter.

     

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     Fichier:Blason fr ville Blaye (Gironde).svg

     Blaye (Gironde) , Vue du Port et de la Gare, Carte postale vers 1900

     

    Je pris donc le vapeur à trois heures et fus débarqué à Blaye, petite ville presque insignifiante, c’est cependant une sous-préfecture. Il n’y a de remarquable qu’une fontaine près du fort (*) qui fournit l’eau à toute la ville Cette petite ville est située sur le fleuve la Seudre (**) mais qui flotte à Marennes. Le soleil n’était pas encore couché que je m’achemine pour gagner l’endroit voisin. Ce fût à Etauliers, tel était le nom de l’endroit. Là, je m’adresse à un petit café pour demander à loger mais on me répond que l’on ne logeait pas. On m’indique un hôtel qui se trouvait à quelques pas de là, c’était « l’Hôtel des Voyageurs ». J’y fus très bien. Le lendemain je prends ma route, il faisait une chaleur excessive. Je marche tranquillement sans penser à déjeuner mais la faim se fît bientôt sentir, il était onze heures. Je passe à Marimbeau, petit endroit fort gentil. Là, je déjeune et après ce léger déjeuner je reprends ma route. Je prends la route de Saintes.

    J’avais deux kilomètres faits quand je rencontre un homme que la providence avait placé là pour me mettre dans mon vrai chemin. Il me regarde d’abord et puis il me demande si j’allais à Saintes « Non Monsieur je lui dis, je vais à Marennes pour me rendre près de Niort où sont mes parents.

     

    (*) citadelle de Vauban

    (**) il s’agit en fait de l’estuaire de la Gironde

     

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    Mais il me dit, vous n’en prenez pas la route vous lui tournez le dos… Serait-il possible et cependant on m’a donné cette route pour la plus courte… Ils étaient en erreur ces gens là car moi je connais les deux et croyez-moi redoublez et prenez l’autre… ». « Mais Monsieur, je veux très bien vous croire car je vous crois d’expérience pour ne pas me mettre dans une fausse route, d’autant plus que vous n’y gagneriez rien… Monsieur je vous remercie, bonjour… ».

    Je retourne prendre la route indiquée. J’avais fait neuf cents mètres quant un cantonnier m’arrête en me demandant si j’allais travailler au terrassement du canal de Sau… Non je lui dis, je ne suis pas un terrassier, je suis un jardinier, je me rends chez moi et je passe par ici pour voir le pays… Vous ne voulez pas travailler en gagnant votre pays ?... Pourquoi me demandez-vous cela ?... Parce qu’il y a ici une place… Le château que vous voyez sur cette côte… Pour être jardinier pour le compte de la ville… Comment pour le comte de la ville, est ce que ce serait un bourgeois qui aurait le nom Comte de la Ville ?... Moi je voyage et je ne prends pas de place… Je veux dire au compte de la ville parce que ce château appartient à la ville et il faut dans ce moment un jardinier… C’est très possible Monsieur mais moi je ne peux rester, je pars chez moi pour retourner m’engager à Libourne dans le 3ème Hussards… Comme vous voulez vous engager, savez-vous que nous sommes en temps de guerre et qu’il n’y fait pas bon… Je le sais comme vous mais je vais vous raconter mon affaire… »

      « Je suis de classe premier et je serai pris sans doute, mes parents n’ont pas le moyen de m’acheter(*), je serai forcé de service et, je l’ai vu sur une affiche, que l’on donnait aux engagés deux mille trois cents francs ; et je veux profiter de cette avance. Ca fait que je veux devancer l’appel … Vous avez mal lu car ce n’est qu’en vieux soldat qui reprend du service qui a droit à la prime. Croyez-moi, ne faites pas cette bêtise, attendez votre sort… Mais vous êtes sûr dans ce que vous me dites, car si je savais la chose vraie je suivrai vos conseils… La chose est plus que vraie car je vous parle d’après le maire d’ici… Et bien Monsieur, je jure de suivre vos conseils, d’autant plus que me paraissez un homme de bien. Au revoir Monsieur, si quelquefois le hasard nous rassemble, je vous payerai de retour de vos bons conseils ».

    Après cela je repris ma route, la chaleur du soleil était si ardente que je ne pouvais avancer.Je me tire à l’ombre et puis je goûte un paisible sommeil que bien des fois je me suis trouvé couché sous l’édredon que je n’ai pas réparé aussi paisiblement que je l’ai fait ce jour là. Mais à mon réveil j’avais soif qu’à peine pouvais-je trouver de la salive pour humecter mon palais. Mais que faire ?... Personne ici ne pouvait témoigner de ma grande nécessité, pas de maison pour m’assister d’un verre d’eau. Enfin je me suis mis à marcher, je regardais  de droite et de gauche pour tâcher de découvrir quelque ruisseau. Je n’en pouvais plus. Je m’assois sur le bord d’un pont qui faisait communiquer un ravin par-dessous la route, je descends dans le ravin par le moyen d’escaliers naturels dans la roche, quand je fus en bas je vois un petit trou où il y avait presque trois litres d’eau. Je crus trouver un trésor… Je m’écrie « Ciel, je crois que tu as gardé un peu d’eau pour le voyageur !... » Je ne pris pas le temps de goûter, je bois à plusieurs reprises et à chaque reprise elle me ramenait à la vie. Il se faisait déjà tard, le soleil allait se coucher. Je pensais à gagner l’endroit voisin pour pouvoir passer la nuit. Je ne fus pas longtemps sans apercevoir une maison, je double la marche et j’arrive… « Quel bonheur, c’est une auberge !... » Je m’y adresse, on me reçoit très bien. Je prends une chaise, je m’assois à la porte pour pouvoir fumer ma pipe.

    Il faisait déjà noir quand l’hôtesse me demande si je voulais avoir l’obligeance d’aller avec sa petite bergère qui gardait les boeufs, pour lui tenir compagnie pour qu’elle n’ait pas peur en attendant que son mari fût arrivé.

     
    (*) Jean Baptiste fait dans doute référence au « tirage au sort », qui fut réellement codifié en 1818. Les nouveaux règlements prévoyaient l'exemption de certaines catégories de citoyens, notamment les instituteurs et les orphelins de guerre. Ils autorisaient le remplacement, qui permettait aux fils de familles fortunées ayant tiré un "mauvais numéro" de se faire représenter par un volontaire, moyennant finances, souvent par l'intermédiaire d'un courtier : le cours du soldat oscillera, suivant l'époque, entre 1 200 et 3 000 francs. Ce système de recrutement sélectif subsistera jusqu'en 1872, date à laquelle la République égalitaire institua le service militaire.

     

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    Très volontiers Madame, je lui dis, une pareille corvée ne peut se refuser. Je fus donc berger ce soir là. Si ma bergère avait été plus âgée, j’aurai fais un excellent berger, mais la pauvre enfant était trop jeune pour lui parler d’amour. Je me contente seulement de lui lancer quelques paroles sur ce qui regardait son métier, mais la petite était intimidée; elle fut pendant quelques instants sans bien me répondre. Je voyais que la pauvre enfant avait presque peur de moi et c’est ce qui fît que je laissais là la conversation sans la pousser plus loin. Le mari de l’hôtesse vient prendre ma place et moi je rentre dîner et prendre le repos dont j’avais besoin.

    Le lendemain, de grand matin, je me suis mis en route et après avoir marché toute la matinée, j’arrive à midi à Royan où je déjeune. Cette petite ville ne commerce que pendant quatre mois de l’année, mais pendant ce temps là les baigneurs en font le commerce et la gaîté. Vous saurez que les Royannais ont des bains sur la mer très sains et très renommés ; je suis allé moi-même me promener sur l’établissement des bains où plus de trois cents personnes se baignaient.

     

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     Fichier:Blason Royan.svg
    Royan (Charente-Maritime) – La grande Conche à l’heure du bain , Carte postale vers 1900 

     
    Je quitte donc cette ville et je me dirige vers Marennes. Je passe dans une forêt de sapins et là j’aperçois un monument. Je m’approche pour me justifier de ce que çà pouvait être. J’arrive auprès et je lis l’inscription suivante « A la mémoire d’une bonne épouse morte d’une chute. Passants, priez pour le repos de son âme ». Je regarde de tous côtés pour voir si j’apercevais quelqu’un pour me rendre compte du sujet de ce monument, mais ne voyant personne, je contemple seul et j’attribue que c’était une personne aisée qui était morte de mort subite dans ce bois de sapins et que son mari pour souvenir de ce jour malheureux avait fait élever ce monument.

    Enfin, je quitte ces lieux et je reprends ma route. J’arrive à la Tremblade où je devais embarquer pour Marennes qui n’était qu’à deux lieues. Avant d’arriver à la Tremblade, je me pose pour changer de costume car j’étais dans mon costume de voyageur et pour paraître chez Monsieur Garis il me fallait faire un peu de toilette.


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    Je me rends donc à la barque et dans une demi heure je fus de l’autre côté.Je pris une voiture qui conduisait à Marennes, je m’y fis arrêter chez Monsieur Garis et je rentre sanssonner. Il n’était pas là mais je trouve une servante « Bonjour Mademoiselle je lui dis, Monsieur Garis est par ici ?... Non… telle fut sa réponse. Mais sera-t-il longtemps pour rentrer ?... Non il rentre à la minute, assoyez-vous… Elle me présente un siège, moi je la regarde en souriant. Vous ne me connaissez donc pas ?... Elle prend son sérieux et me dit… C’est Monsieur Jean, par quel hasard vous trouvez-vous ici ?... ». J’allais lui expliquer la cause mais je fus interrompu par la présence de Monsieur Garis. A son approche je me lève et lui présente la main en lui demandant l’état de sa santé, mais il me répond froidement. Il allait me demander qui j’étais quand la servante lui dit « Vous ne le reconnaissez donc pas, c’est Monsieur Jean qui vient vous rendre visite… Ah !... C’est vous mon ami, soyez le bienvenu… Le bon vieillard demande le sujet de mon voyage depuis que j’étais parti de chez lui et il demande des nouvelles de Rochelais… Ma foi Rochelais je ne sais où il est, je l’ai rencontré à Rochefort et nous avons pris un verre de vin ensemble et depuis ce temps là je n’ai eu aucun indice sur sa personne… La pauvre Suzette est partie d’ici le jour même où Rochelais l’a trompé, mais je crois que vous connaissiez tous les regrets de cet amour car Rochelais a dit avant de partir à des personnes que ce n’était que pour vous suivre… ». Il allait continuer, moi je tourne la conversation car je voyais bien que Rochelais avait eu la bêtise de vendre le secret avant de partir et je me serai trouvé là dupe de sa bêtise; et autre preuve c’est que nous devons Rochelais et moi soixante quinze centimes à un perruquier et nous sommes partis sans le solder… 

    En vérité je repassais dans ce pays et je n’aurais pas du y passer car je devais m’attendre à quelques revers. Je me disais, je vais donner le peu que je dois au perruquier mais je n’avais que si juste à faire ma route que je renvoie à un troisième passage ce petit paiement. 

    Monsieur Garis ne voulut pas que j’aille à l’hôtel, je passais la nuit chez lui et le lendemain il m’emmena boire le vin blanc avec lui et il voulut à tout prix que je reste à travailler chez lui. Il me dit « Depuis votre départ je n’ai pas d’ouvrier convenable… Restez, vous m’obligerez… Je voudrais pouvoir rester chez vous mais le sort m’appelle, sous peu il faut que je me rende… Ah !... le sort… Vous avez encore plus de six mois et peut être plus… Croyez-moi, restez ici… Et bien si j’ai encore six mois, je retournerai les passer chez vous, mais aujourd’hui je ne suis qu’à vingt lieues de mes parents, il faut que j’aille les voir depuis deux ans qu’ils sont privés de ma présence… Croyez-vous qu’ils me reverront avec plaisir ?... Non Monsieur la chose n’est pas possible de rester aujourd’hui… ».

    Enfin je le remercie de l’honneur dont il m’avait fait, et je pars en lui promettant de bouche de revenir mais le coeur disait non. Non, je ne reviendrai pas dans ce triste pays où tout pour moi n’est qu’horreur.

    Je m’achemine vers Rochefort. En rentrant la porte de La Rochelle deux gendarmes me demandent mes papiers, je leur montre, ils les trouvent bons. Je file. Arrivé sur la Place des Muriers je ne savais où m’adresser pour coucher car ma bourse était presque vide. Je m’assois sur un banc et quelques temps après il vient un ouvrier s’assoir auprès de moi. Il me regardait mais il n’osait pas m’adresser la parole. Je la lui adressais en disant « Dites-donc mon ami, vous ne connaissez pas où l’on ne prend pas trop cher pour coucher, je suis un voyageur et la bourse diminue… Ah oui, allez chez Barrière sur la route de Niort, c’est le premier hôtel à gauche. Là vous ne serez pas étrillé comme ici en ville et vous serez très bien… ». Je le remercie et il m’indique la route. Je me dirige du côté. Arrivé, je fus à plusieurs hôtels mais personne ne pouvait me loger. Enfin, j’étais arrivé au dernier, je demande et on me refuse en disant que leurs lits étaient pleins.

    A ces mots, je me montre plus riche que je n’étais et je dis « Diable, je ne sais pas ce que j’ai fait aux habitants de Rochefort, avec de l’argent je serai forcé de coucher dehors, cependant j’ai bien moyen de payer mon écot…

     
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    Oui Monsieur on ne craint pas cela, mais dans ce moment tout l’hôtel loge des ouvriers car nous avons des travaux considérables dans le quartier ici, mais avez-vous demandé au premier hôtel à gauche, ils ne logent pas d’ouvriers et ils vous logeront sans doute ». Je fus donc à cet hôtel, c’est ici que l’on m’avait dit et je l’avais passé. Je rentre, je fus très bien couché, proprement, et tout cela pour quatre vingt quinze centimes.

    Ainsi voyez, si la providence n’avait pas placé cet ouvrier pour m’indiquer un aussi bon hôtel et cependant je la fuyais… C’est ce qui prouve que la destinée nous peut quelque chose. Fuyez-la, elle vous suivra…

     

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    Fichier:Blason ville fr Rochefort (Charente-Maritime).svg
    Rochefort-sur-Mer ( Charente-Maritime) – Rue de la République , Carte postale vers 1900 

     
    Je pris donc la route de Niort. Lorsque je fus à deux lieues de Rochefort, les campagnes me rappelaient ma patrie. Je voyais ces belles plaines et coteaux couverts de vignes d’une verdure étonnante qui couvraient tout leur sol. Je fis sept lieues dans cette charmante contrée sans presque m’apercevoir de ma fatigue. Ce fût en arrivant à Surgères que mes pieds ne voulurent plus jouer. Je me suis assis à l’ombre pour respirer un peu de repos mais ma halte ne fut pas longue car je voyais Surgères qui semblait me dire de marcher. Je me suis mis en devoir de rentrer dans cette ville pour la deuxième fois, d’où je ne pouvais passer sans aller rendre visite à Monsieur Bonnin mon ancien patron.

    Je fus donc le voir en passant lui présenter mes respects. Il me reçut très bien, il voulut même me retenir à coucher. Non, la chose ne se pouvait pas car je n’étais qu’à cinq lieues de chez mon père et j’avais tout le temps possible de m’y rendre. Je pris donc la route du toit paternel. Me voilà donc à ma dernière étape. Je marche assez vite et j’arrive à Mauzé (*) le premier chef-lieu de canton de mon département. Il était encore à bonne heure et je n’étais plus qu’à 9 km d’Epannes. Je cesse de marcher vite car je ne voulais pas arriver de jour à Epannes pour donner une petite surprise à mes parents qui ne m’attendaient pas. C’était facile à moi, car ils étaient aubergistes, je pouvais m’adresser comme un étranger. C’est ce que je fis, arrivé à Epannes.

    Je fus m’adresser chez mon père et voilà de quelle manière « Bonjour Madame, auriez-vous un lit pour un ouvrier voyageur qui désire prendre cette nuit chez vous le repos dont j’ai besoin ?... Oui Monsieur, rentrez… Voilà un siège… Assoyez-vous... ». Je gardais les yeux inclinés à terre. J’eu le temps de déposer mon baluchon avant qu’ils me reconnaissent. Mais quand je pris ma chaise, je laisse échapper un regard sur ma soeur et celle-ci vient tomber dans mes bras en disant « C’est mon frère, mon frère Jean !... ».

     
    (*) Mauzé sur le Mignon

     
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    Ainsi vous pouvez juger de la joie de cette famille qui après trois années d’absence me revoit par surprise. Ces trois années avaient été pour eux trois siècles, mais de mon côté c’était bien le contraire.

    « Si vous saviez lecteur comme le temps passe vite en voyageant. C’est pire que la vapeur qui fait cinquante lieues à l’heure… »

     

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     Epannes (Deux-Sèvres) - Allée des Platanes, Carte postale vers 1900 

     

    Me voilà donc au sein de ma famille. Je me garde bien de leur parler de mon engagement prétendu; j’avais mis le conseil du cantonnier à profit et je ne pensais plus aller rejoindre le 3ème Hussards. Je me suis donc occupé à faire venir ma malle. J’adresse une lettre à Prosper en lui demandant ma malle… Tu l’adresseras bureau restant à Niort… Cet ami ne fut pas long à m’envoyer une lettre. Je fus voir à la messagerie de petite vitesse mais rien n’était arrivé pour moi. Je m’en retourne pas trop content, je croyais que Prosper m’avait oublié.

    Un mois s’était écoulé sans rien recevoir, j’étais dans une colère contre Prosper que j’aurai jamais voulu l’avoir connu. J’écris une lettre à Monsieur Lulon fils pour savoir comment ma malle avait été mise en gare. Monsieur Lulon ne manque pas de me répondre, mais je reçois de même une lettre de Prosper qui me marquait la lettre suivante :


    Mon cher ami,

    Je m’empresse de t’écrire pour savoir comment va ta santé. Pour moi, je jouis d’une santé parfaite. Je désire que la présente te trouve de même ainsi que tes parents.

    Je m’avance de t’écrire parce que tu ne m’as pas écris si tu avais reçu ta malle. J’ai pensé que tu n’avais pas reçu ma lettre. J’ai pourtant mis l’adresse comme tu me l’as marquée. Si toutefois tu ne l’avais pas reçue, va réclamer au roulage de Niort « Envoi par Vallée ». On n’a pas voulu me donner de numéro; ainsi si tu ne l’as pas récris-moi et si tu l’as reçue de même.

    Mon cher ami, mon père est bien mieux. J’irai te rejoindre bientôt. Rien de plus. Adieu.

    Ton fidèle ami pour la vie.

    Vallée Prosper, l’Angoumois dit la Tulipe.

    La Rochefoucauld le 5 septembre 1855


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    Cette lettre de Prosper me donna tout à croire que ce n’était pas sa faute si ma malle avait eu du retard, mais il n’était plus à Libourne. Comment faire maintenant pour parvenir à agir contre la société du chemin de fer ?... Ce n’est pas moi qui peux agir contre eux, ils ne me connaissent pas. C’est donc à Proper de faire la démarche à tout prix, il faut que je la retrouve. Quoique pas d’une grande valeur, j’avais des pierres dont elle renferme, que je n’aurai pas donné pour tout l’or du monde, c’était le commencement de cette vie.

    Après avoir pris lecture de la lettre de Prosper, il fallut voir ce que me marquait le fils Lulon quoique d’après la lecture de la lettre de Prosper, j’avais déjà deviné la sienne. Voici sa lettre qui n’est pas très longue :

     
    Libourne le 10 septembre 1855,

    Mon cher Jean,

    Je suis assez étonné que vous n’avez pas encore reçu votre malle qui est partie d’ici en même temps que Prosper le 19 août. Il vous l’a adressée comme vous lui aviez dit : bureau restant à Niort. Pour Prosper, il est chez lui, ses parents l’ont appelé il ya quelques temps.

    Ainsi, si vous voulez lui écrire, écrivez-lui à la Rochefoucauld.

    Toute la famille vous fait bien des compliments.

    Je vous salue d’amitié.

    Lulon fils

     
    J’ai répondu à la lettre de Prosper en lui disant que je ne l’accusais pas du retard qu’avait mis ma malle, mais que je voulais l’avoir à tout prix, et lui seul pouvait en faire la démarche. Je fus quelques temps sans entendre parler des biens. J’aurai voulu que ma malle aille au diable. Je crois que si je n’avais pas entrepris de me la procurer, j’aurai laissé les choses neutres. Mais comme j’avais entrepris, il fallait aller au bout.

    Deux mois s’étaient écoulés sans rien recevoir. J’écris une grande lettre à Prosper en lui disant d’entreprendre la société du chemin de fer, sans quoi j’allais moi-même le forcer d’agir. Je lui estime la valeur de la malle à quatre vingt francs et que sous deux mois je voulais l’un ou l’autre.

    Jugez de la peine du pauvre garçon après lecture de la lettre. Il fut quelques temps en silence envers moi. Mais un jour je reçois la lettre suivante :

     
    Libourne le 12 décembre 1855,

    Mon brave ami,

    Je m’empresse de t’écrire pour t’assurer que je suis toujours ton ami et que je me porte toujours bien. Mon cher ami, tu dois m’en vouloir, tu penses que c’est de ma faute si ta malle ne t’est pas parvenue. Mon cher ami, si je suis retourné à Libourne, ce n’est que pour toi ; je suis allé à la gare pour définitivement savoir d’où vient que ta malle ne t’est pas parvenue depuis cinq mois. Ils m’ont répondu qu’elle devait être arrivée et qu’on allait écrire à Niort, et moi j’ai répondu la-dessus que si elle n’était pas arrivée d’ici le premier janvier, que j’entendrai de droit qu’elle me soit payée. Fais-moi réponse de suite. Rien de plus à te marquer pour le moment.

    Je suis toujours ton fidèle ami.

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     Page 8

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    Cette lettre me rassura un peu.

     
    Quelques jours après, ma soeur fut à Niort pour des affaires, avec la voiture de mon père. Je la charge d’aller au roulage pour voir si par hazard ma malle ne serait pas arrivée. Elle fut plus adroite que je ne l’avais été. Elle fut à la messagerie impériale s’informer de cette malle. Au second bureau, elle la trouva qui était arrivée depuis cinq mois… Le directeur désespérait de trouver son maître… Ma soeur revient avec ma malle, je la louais de sa bonne idée. Dès le jour même, j’écris une lettre à mon ami Prosper, dont voici le modèle suivant :

    Epannes le 28 décembre 1855,

    Mon cher ami,

    Je viens m’excuser des lettres grossières que je t’ai envoyées depuis sept mois. De tous ces reproches que je te faisais à chaque ligne, tu ne les méritais pas, c’est à moi tout le tort. Je dis tout le tort parce que avant d’accuser un ami, il fallait m’assurer qu’il était dix fois coupable.

    Ma malle est arrivée depuis cinq mois et je la croyais perdue. Ce n’est pas tout à fait de ma faute si j’ai pu te causer désagrément, car tu m’envoie par la grande vitesse et tu me dis de réclamer au roulage. Ce fut par hasard que je le découvris. Mais maintenant mon cher ami nous sommes tranquilles, je pense que tu voudras bien panser nos fautes mêlées.

    Mon cher ami, tu m’as marqué que tu voulais faire un voyage dans le Nord. Je pense que tu n’oublieras pas ton ami, que tu passeras me voir en passant.

    Au revoir cher ami, tu présenteras mes respects à la famille Lulon. Ma main dans la tienne, jointe à ces dernières lignes. Salut de tout coeur.

    Je suis ton ami.

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    Me voila donc tiré de ce passage.

    J’avais déjà six mois de séjour à Epannes, je n’avais pas trouvé le temps très long car j’étais occupé aux travaux de mon père. Les jours les plus longs pour moi c’était les dimanches.

    Quoique j’avais des camarades qui m’estimaient, je ne pouvais camarader avec eux car leurs manières et les miennes ne pouvaient aller ensemble. Dans ce cas là, je préférais me livrer à des lectures et promenades de campagne ; et le matin quelques fois j’allais à la messe plutôt par politique que par dévotion.

    Pour assister à cette réunion, j’avais le soin de me parer d’un paletot, cependant les moeurs de ce pays me défendaient de porter un paletot. Je savais bien que l’on tournerait cela en ridicule, c’était une raison de plus pour que je ne sorte jamais sans paletot, même les jours de semaine.

     
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