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    Séjour à Angoulême – Rencontre d’un Angoumois

    Départ pour Libourne – Retour à Epannes

    Diverses aventures de ce voyage

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      Le matin, je me réveille le premier, je saute à la croisée pour voir quel temps il faisait, je tends ma main au dehors et là je vois qu’il pleuvait. Je retourne auprès de mon ami qui était à peine réveillé « Ne nous pressons pas mon cher Rochelais car il fait très mauvais… Il pleut… Comment il pleut, nous ne trouverons pas à embaucher par un pareil temps, qui voudra de nous ?… Et bien si l’on ne veut pas de nous, nous partirons plus loin !… En attendant lève toi et nous irons chercher de l’ouvrage ». Rochelais se lève, nous partons chercher de l’ouvrage.

    Nous fûmes dans plusieurs établissements mais… pas d’ouvrage... Nous avions déjà « escarpiné » toute la ville de part et d’autre, nous décidons de gagner notre hôtel pour prendre quelques nourritures, nous descendons le faubourg. Là, nous fîmes rencontre d’un homme qui portait un tablier. Rochelais lui adresse la parole « Vous êtes jardinier Monsieur ?... Oui fut sa réponse. Vous ne connaissez pas quelque confrère qui pourrait avoir besoin d’ouvriers ? Etes-vous jardinier… Oui Monsieur… Et bien moi j’ai besoin… Venez chez moi nous parlerons d’affaires. Nous le suivons. Arrivés chez lui, sa femme jeune et jolie nous présente un siège. Nous fûmes interrogés de part et d’autre, et tout en parlant du pays le patron et moi nous trouvons presque du même pays. Cela allait très bien mais il ne parlait pas du prix qu’il voulait donner par mois. Je lui adresse la parole « Et bien Monsieur, pouvons-nous compter sur votre ouvrage… Oui certes… Mais tous les deux, combien donnez-vous par mois… Je donne de quinze à dix huit francs, mais le premier sera celui que vous aurez en rentrant et plus tard, nous verrons… Et bien Monsieur nous reviendrons demain … ».

     

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     Armoiries

    Angoulême (Charente), Vue du Rempart du Midi sur le Rempart Deraix et le Faubourg Saint-Martin, Carte postale vers 1900

     

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    Je me lève pour partir mais Monsieur Gateau, tel était le nom du patron, dit « Ne partez pas nous allons déjeuner ». Je le remercie par politesse mais il répète et il fut accepté, le déjeuner fut bon. Après le déjeuner nous partîmes en lui promettant de revenir le lendemain. Le reste de la journée fut passé à visiter la ville et le lendemain nous fûmes prendre notre service comme il était convenu.

    Le mauvais temps continuait, Monsieur Gateau nous occupa à des travaux à l’abri du mauvais temps. Ce fut des greffes qui passaient par les mains de quatre ouvriers. Rochelais coupait les sujets, Monsieur Gateau mettait la greffe, moi je mettais la ligature et un ancien ouvrier appelé par son nom de pays « Langevin » mettait la cire. Cette journée se passa assez mal du côté de Rochelais, mais la suite fut bien pire. Rochelais avait des connaissances mais il ne connaissait pas tout. Moi je n’étais pas plus savant que lui mais je faisais tout avec facilité sans avoir peur de manquer, mais lui n’était pas de même il était toujours en crainte. Nous étions tombés chez un homme capable dans son état, et comme pays je voulais me faire ami de lui pour l’intérêt de Rochelais… et du mien.

    Le lendemain était un dimanche, le soir nous fûmes payés l’embauchage comme c’est l’habitude parmi les ouvriers. Ce premier dimanche se passa avec beaucoup de plaisir, j’admirais mieux à mon aise la ville car j’avais en Langevin un guide qui la connaissait très bien. Il nous fit voir tout ce qui était remarquable, il nous fit même voir les maisons de joie que nous ne pûmes passer sans entrer prendre un verre de bière parmi ce beau sexe.

    Enfin la journée est passée et le lundi arrive, il faut travailler. Monsieur Gateau nous mit à l’épreuve. Rochelais fut envoyé chez Monsieur Laras receveur général d’Angoulême pour le travail d’un superbe jardin et moi je fus mis à l’établissement. On me donna une plate-bande à niveler en pente régulière. J’étais en ouvrage, Monsieur Gateau vient me voir et il ne me fit rien dans le moment et puis il part. Il revient et il me parle ainsi « Où avez-vous donc rencontré ce garçon qui est avec vous, quelles sont ses capacités… Monsieur, voilà un an que je le connais mais je n’ai jamais travaillé avec lui. Ca fait que je ne puis pas définitivement vous dire ses capacités ; mais tout ce que je puis vous dire que je n’ai que des louanges à faire de sa conduite et même de son travail. D’après ce que m’ont dit ses patrons avec qui il a travaillé, tous m’ont fait des louanges à son égard et en plus il est très bon camarade… Je crois que ses capacités sont bien petites car il me paraît emprunté dans tout ce qu’il fait… ». Après cela Monsieur Gateau part et puis il revient suivi de Rochelais. Il le mit à bêcher auprès de moi.

    Rochelais avait le malheur, il finit le carré et casse une bêche qui ne tenait plus. Monsieur Gateau qui n’attendait que cela pour lui faire une morale, profita de cette occasion pour se décharger la conscience. Il le choque dans peu de mots, Rochelais le laissait dire et puis il s’explique à son tour, je le vois qui prend sa veste qui se trouvait auprès de lui, je cru dans le moment qu’il avait froid, mais quelle fut ma surprise de voir Rochelais qui s’approche du patron en lui parlant ainsi « Monsieur, serez-vous à midi chez vous… Pourquoi cela… Parce que je vois que nous ne pouvons pas aller ensemble, vous me devez trois jours. Vous allez me payer et puis nous nous séparerons et rien de plus… Mais il ne faut pas que ce soit ce que je vous ai dit-il y a un instant qui vous fasse partir, vous n’êtes donc pas voyageur car un rien vous épouvante… Non ce n’est pas ce que vous venez de me dire qui me fait partir mais je vois que votre caractère et le mien ne peuvent pas aller plus longtemps ensemble, ainsi il faut se séparer… ». En disant ces mots il part sans rien me dire à moi son ami, son camarade.

    Lorsqu’il fut parti je dis à Monsieur Gateau « Vous ne le laisserez pas partir sans que je le voie… Ah mais !... dit-il, est-ce qu’il vous doit quelque chose?… Oui mais ce n’est pas encore cela, j’ai autre chose à lui communiquer ».

    Comme le jardin n’était pas à côté de la maison, Monsieur Gateau part à midi juste, puis il me donne l’ordre de me rendre à une heure. Une heure expirée, j’allais droit à la demeure de Monsieur Gateau.

     

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    J’étais presque arrivé lorsque Rochelais vient au devant de moi « Comment dit-il tu as dit à Monsieur Gateau que je te devais de l’argent, c’est une chose qui ne le regarde pas… Tu as raison Rochelais mais ce n’est pas l’argent que tu me dois qui m’a fait faire cela puisque je sais bien que tu ne peux pas me solder, mais c’est seulement que j’avais peur que tu partes sans me dire au revoir, tu veux donc partir… Oui je veux partir car je vois que le patron et toi vous faites deux amis et moi je ne le suis pas… Mais mon cher, le patron et moi nous sommes du même pays et toi et moi nous n’avions qu’un même coeur. Si le patron va bien avec moi, il ira bien avec toi aussi, car je plaiderai pour notre intérêt, aussi reste un mois seulement et puis nous partirons… Non je ne resterai pas un jour, je veux partir de suite, viens dire au patron qu’il me donne mon livret… De quel côté vas-tu aller… Je n’en sais rien… Oh !...Rochelais, tu as oublié mes bienfaits, je vois que tu veux te séparer de moi, serait-il possible que l’on se sépare aujourd’hui pour toujours, non je n’ose le croire… Malheureusement tu me dois cinq francs et tu n’as pas le sou, il ne tient qu’à toi de revenir travailler et là tu partirais comme une tête brûlée… Dépourvu de tout, sans le sou dans la poche, et où irais-tu dans un pareil cas, que deviendrais-tu… Prends ma malle si tu veux et rien ne m’empêchera de partir, je n’ai pas d’argent je le sais mais j’ai l’espoir d’en gagner, si tu me laisses emporter ma malle je te donne ce que me doit le patron : un franc quatre vingt dix… Moi te garder ta malle ou non, que penses-tu là je ne suis pas un ingrat tu dois le savoir, tu as goûté souvent mes bienfaits, mais puisque aujourd’hui il faut se séparer vas, je te donne les cinq francs que tu me dois et en plus veux-tu deux francs pour faire ta route… Non, garde tes deux francs tu m’as fait déjà trop de bien pour qu’il te soit rendu depuis longtemps… Nous avions médité un long voyage, j’ai consenti mais depuis j’ai réfléchi, tu es jeune, tu n’as pas encore satisfait au sort. Si par malheur tu venais à partir, je perdrai mon compagnon, d’autant plus que nous nous dirigeons dans un nouveau pays, pour notre état je serai en danger de ne jamais devenir ouvrier, ainsi vaut-il mieux se séparer se suite, adieu je te désire une parfaite réussite… Adieu ce n’est pas le mot, vas deux montagnes ne se rencontrent jamais mais il n’est pas de même de deux hommes, va bon voyage parfaite prospérité, vas Rochelais tu penseras plus d’une fois à moi, du silence que j’ai eu pour toi sur les amours de Suzette, tu sais mon adresse si tu veux m’écrire je recevrai tes lettres avec plaisir… ».

    En disant ceci il me prend la main et puis il se charge de sa malle, le voilà parti ; je veux lui payer la goutte il refuse, je veux lui donner deux francs il me remercie. Allons, puisque je ne peux pas l’empêcher de partir, qu’il y aille, moi je reste ici.

    Le voilà parti celui qui me disait « Mon ami nous ferons un long voyage ensemble, nous ferons deux voyageurs célèbres ». Mais aujourd’hui tout est manqué. Je comprends qu’il redoutait mon sort de soldat mais devait-il me laisser comme un ingrat ; ne devait-il pas me dire mon ami si le sort t’appelle soldat j’irai travailler dans la ville où tu seras, je suivrai ton régiment. Mais non de tout cela il n’en fit rien, cependant je le regarde comme un modèle, inséparable, je vois bien qu’il faut que le coeur d’un voyageur soit plus dur qu’une pierre.

    Moi je continue mon travail, Monsieur Gateau et moi allons très bien ensemble. L’autre ouvrier prend une place chez un bourgeois de l’endroit et moi je reste seul. On me donnait des hommes de journée à conduire qui ne mugissaient pas du tout, car sans faire de tort à mon maître, je ne leur menais pas la vie trop dure. Lorsque venait la paye, il fallait avec eux prendre un verre ensemble. Un jour que nous faisions une petite ripaille, nous étions au café, c’était onze heures du soir, je sors sur les remparts pour tomber de l’eau; en ouvrant la porte du café pour sortir j’aperçois un incendie dans le faubourg, je rentre aussitôt je dis a mes collègues « Partons, le feu est dans le faubourg… Allons rendre nos services… Pressons-nous !…Venez !… ». Nous partons à pas de course, enfin nous voilà arrivé, ciel quel déluge le feu était dans un magasin d’eau de vie, quel triste spectacle…

    Nous voilà dans la chaîne, elle était double et par un ordre mal donné les celliers pleins et les vides venaient du même côté. Moi, étant en pleine activité, je me mets dans le milieu des deux chaînes, je passe les vides d’une main et les pleins de l’autre. Dans cette position un commissaire me voit « Que faites-vous dit-il comme cela, prenez une autre position de suite… Monsieur, plutôt que de me commander, allez donc faire changer la chaîne, vous voyez bien ce qui existe ».

     

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    Il part après cela et dans cinq minutes le changement fut fait. Ce travail dura trois heures et après cela nous nous retirons. J’étais content de ce travail pour le bien d’autrui…

    Un mois s’était écoulé dans toutes ces distractions que je reçois une lettre de mes parents ou plutôt une réponse ainsi conçue :

     

    Epannes le 20 mai 1855

    Mon cher fils,

    Je réponds à ta lettre qui m’a fait beaucoup de plaisir d’apprendre que tu es en bonne santé. Pour moi je n’ai d’espoir à la parfaite santé. Je ne suis pas resté au lit mais j’ai toujours mon mal d’estomac. Je puis te dire que ton frère et son épouse, ta mère et ta soeur, sont en parfaite santé. Je puis te dire que ton cousin Auguste du Ginet est tombé au sort, il est parti, il est en garnison à La Rochelle. Victor Guillemin qui est en Russie il est mort (*), Joseph est marié. Quant à Jacques il se porte bien. Ton ami Giraud est mort.

    Mon cher fils, nous ne savons pas si tu es enregistré, si tu ne l’es pas on te demandera pas car je m’en souviens tu es né en 1834, tu aurais 22 ans, ne dis rien. Je parle à Monsieur Décolard, il m’a promis d’avoir égard à toi.

    Je puis te dire que le père Marquet est malade, Monsieur Décolard l’a fait rentrer à l’hôpital, c’est ce qui fait voir que quand on a des amis il faut les conserver. Il m’a fait mettre ordre de patente, sans lui je ne sais pas comment je ferai depuis neuf mois que tu ne m’as rien envoyé. Il n’y a que ta soeur pour me soulager. Nous nous sommes privés de chevaux, ta soeur et moi portons nos légumes au marché sur notre dos. Ainsi, si tu peux nous envoyer un peu d’argent, fait de ton possible et nous nous ferons le nôtre.

    Ton cousin qui est marin voudrait bien revenir mais nous ne savons pas s’il pourra obtenir permission. Il a écrit à ton oncle de Niort. Son navire est mouillé à Toulon. Mon cher fils en faisant de notre possible nous t’arracherons de ce maudit sort car lui il en est déjà fatigué. Nous ne savons pas quand sera ton tirage mais ne part pas d’Angoulême sans nous le faire savoir.

    Cher fils, nous voulons acheter un cheval pour la foire de Surgères, aussi tâche de nous faire envoyer un peu d’argent.

    Au revoir cher fils, nous sommes tes parents.

     

    Charles Gerbier

     

    (*) Louis (Victor ?) GUILLEMAIN, voltigeur au 49ème Régiment d’Infanterie de Ligne, Armée d’Orient – Tué par un éclat d’obus qui lui a traversé la tête, étant de garde à la tranchée, le 27 mars 1855 à 11H00 du matin (Bataille de Sébastopol – Ukraine). Source : Acte d’Etat-Civil N° 7 – Mairie d’Epannes.

     

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    Acte de décès de Louis Guillemain - Source : Archives Départementales des Deux-Sèvres

     

    Que de choses dans cette lettre qu’il faut apprécier. Mon père qui dit s’humilier pour moi, il pense à mon avenir et moi je n’y pense pas du tout. Aller au service ce serait pour moi un verre d’absinthe à boire. Et bien cette lettre me fait le même effet, au moment où je la lis je ressens quelque chose qui me dévoue pour mes parents. Je voudrais être auprès d’eux pour répondre tête-à-tête, je voudrais leur envoyer de l’argent mais je n’en ai pas.

    Je n’étais pas plutôt à mon travail que cette lettre me servait pour allumer ma pipe et tout était alors oublié. Je ne pense que d’aller plus loin…

    Le lendemain, je reçois la lettre suivante de mon frère :

     

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    A Saint-Sauveur le 16 mai 1855

    Mon cher frère,

    Je suis bien surpris que tu sois parti de Saintes sans nous écrire. Je ne pouvais pas te donner de mes nouvelles puisque je ne savais pas ton adresse.

    Cher frère, nous sommes en bonne santé, je désire par la présente te trouver de même.

    Cher frère je te demande si tu peux venir pour nommer le premier enfant de l’agrandissement de notre famille. J’ai cru te faire plaisir en t’engageant de venir. La demoiselle qui sera à ton côté gauche ce sera mademoiselle B.…(*) qui désirerait faire ce petit aveux avec toi. Ainsi je pense que tu ne le refuseras pas.

    Fais-nous honneur d’être l’un des ornements de cette fête.

    Je te salue d’amitié.

     

    Charles Gerbier

     

    (*) Sans doute Marguerite BERNARD,  belle-soeur de Charles Gerbier, qui était déjà la cavalière de Jean-Baptiste lors du mariage de son frère Charles le 29 mai 1854 à Saint-Sauveur-d'Aunis (Charente-Maritime)

     

    Voilà une chose qui me donne à réfléchir. Je dois partir pour Bordeaux sous peu et il me faut faire des économies, cependant la personne de qui mon frère me parle est assez intéressante. Mais à quoi me serviraient ces folles dépenses, ce serait à mon père plutôt qu’à tout autre. Faire trente lieues pour une fête ce serait trop payer, il vaudrait mieux les remercier d’une belle réponse qui m’excusera d’impossibilité. Je n’ai pas besoin de dire ici la réponse car il doit suffire de voir la lettre pour juger de la réponse.

    Quand j’étais parti de Salles je n’avais pas moins envoyé de mes nouvelles à mon ancien patron qui ne manque pas de m’envoyer la suivante :

     

    Salles le 17 mai 1855

    Mon cher Gerbier,

    Je réponds à votre lettre datée du 14 de ce mois. Vous me demandez des nouvelles de Martin et de Rochelais. Je puis vous dire que Martin est parti et il va passer à Niort. Il va à Saumur car il m’a donné de ses nouvelles mais il n’est pas acquitté de l’argent qu’il vous doit. A son arrivée à Saumur il doit m’écrire pour lui faire passer sa malle et je tâcherai de lui faire déposer l’argent auparavant de lui faire passer. Mais sitôt l’argent reçu je vous le ferai passer.

    En tout cas Rochelais il a travaillé chez moi pendant un mois, il est parti le 16 de ce mois. Il espère aller à Paris pour l’exposition et je me trouve sans ouvrier dans ce moment. Si toutefois vous connaissiez quelque ouvrier qui voudrait venir en campagne, faites le moi passer.

    Si vous allez à Bordeaux, donnez-moi votre adresse pour faire passer l’argent que Martin vous doit. Si vous rencontrez des ouvriers faites-les moi passer, je vous serai obligé.

    Rien de plus, je vous désire un bon voyage.

    Je suis votre très humble serviteur.

     

    Allins Pierre, jardinier horticulteur

     

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    Voilà un voyageur ce Rochelais qui retourne sur ses pas, moi je préfèrerai vendre la malle que de battre en retraite. Il veut aller à Paris « Pauvre garçon, apprends donc bien les travaux de province avant d’aller à Paris !… ». Il me faisait mettre en colère quand je l’entendais parler se son Paris, car je me rappelle un jour étant à Marennes il voulait me vendre sa malle pour aller à Paris, là je lui soumis quelques conseils qu’il sut mettre à profit. Mais aujourd’hui il n’a pas de mes conseils, il veut suivre sa tête, il fait bien puisque c’est son idée…

    J’avais perdu espoir de le revoir et même de recevoir de ses nouvelles lorsqu’un facteur me remit la lettre suivante :

     

    Mon cher ami,

    Si je mets la main à la plume c’est pour m’informer de l’état de ta santé. Pour moi je suis en parfaite santé pour le moment. Cher ami, j’étais bien fâché de me séparer de toi si prestement, mais je ne pouvais pas rester plus longtemps. Peut-être que tu trouves le temps long comme moi de n’avoir pas reçu de mes nouvelles. J’ai travaillé à Cognac, j’en suis parti le 16 mai, j’arrive aujourd’hui à Saint Jean d’Angély le 17, je trouve bien à travailler mais je ne veux m’arrêter. J’ai fait ta lettre à midi et je pars à deux heures pour aller coucher chez ton père près de Niort. Comme tu m’as dit qu’il était aubergiste j’aurai l’honneur de lui offrir mes respects et ton amitié auprès de ton père. Je puis te dire que j’ai fait venir trente francs de chez moi, je pars directement pour Paris. Je passe à Saumur, là je prendrai Martin qui y travaille, sa malle est toujours à Salles ; il sera bien forcé de te prier comme moi pour la somme que je te dois.

    On dit que ta classe va tirer au sort dans deux mois. Pour le sûr je te dis que c’est bien sûr, que trop sûr… Je te prie d’écrire chez ton père, avoir notre adresse à l’un comme à l’autre. Ainsi, sitôt arrivé à Paris j’écrirai chez ton père pour avoir de tes nouvelles et pour te donner des miennes. Je te dirai si Martin est avec moi à Paris. Je te donnerai des nouvelles de l’exposition universelle car je pense que c’est un beau coup d’oeil. Je dirai à ton père que tu dois partir un prochain jour pour Bordeaux.

    Ainsi mon cher ami je ne t’abandonnerai jamais, je pense qu’il en sera ainsi de toi. Je puis te dire que Saint Jean d’Angély est bien beau et bon pour nous. Mais moi je suis décidé de partir pour Paris, c’est mon vrai bonheur. J’ai cinquante francs pour faire mon voyage, j’en ai assez. Viens me trouver à Paris ou bien moi j’irai chez toi pour ton tirage au sort car je t’estime mon cher ami. Je termine.

    Le plus grand regret que j’ai dans mon coeur, c’est de ne pas te voir. J’ai l’honneur de te serrer la main d’amitié.

     

    Rochelais dit la Rose, ouvrier horticulteur.

    Saint Jean d’Angély le 17 mai 1855.

     

    Cette lettre de Rochelais variait de mensonges et de vérités, il me fait là des promesses que son caractère ne peut tenir car j’ai su l’apprécier. Enfin, s’il ne remplit pas ses promesses je le verrai bien et je n’en serai pas surpris. Mais un jour j’espère le revoir et je lui rappellerai cette lettre. Je laisse de côté tout cela.

    J’avais depuis quelques jours fait la connaissance d’un jeune homme âgé de vingt deux ans, de ma même profession. Prosper était son nom, nous ne manquions pas de camarades ensemble. Je lui cite un jour l’heure de mon départ pour Bordeaux, Prosper me promet de me suivre. Je voyais que ce nouveau camarade pouvait remplacer Rochelais, j’étais heureux de ma rencontre. Nous sortions le dimanche ensemble comme deux amis.

     

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    Le 24 juin 1855 c’était ma fête, Prosper ne manque pas de m’honorer d’un superbe bouquet et Langevin ne fut pas moins honnête à mon égard. J’arrivais de la pépinière comme à l’habitude, en rentrant je vois mes deux amis qui se lèvent et qui me font le compliment suivant :

     

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    « Cher confrère, ce jour heureux qui nous permet de vous offrir ce bouquet en mémoire de cet heureux jour qui nous a donné la lumière. Ce bouquet orné de fleurs de fuchsia pourra un jour vous servir de nom sur le tour de France. Recevez un baiser d’amitié ».

    En effet, le nom de « Fuchsia » me fut donné ce soir même au milieu d’une soirée de plaisir qui se passa l’une des mieux de ma vie…

     

     

    Je commençais à penser à mon départ.

    Un jour il y avait une cavalcade à la Couronne à trois lieues d’Angoulême. Monsieur Gateau était parti en voyage. Sa femme, jeune encore, aurait voulu se donner le plaisir de la cavalcade mais elle ne pouvait laisser à cause de deux enfants en bas âge. Moi qui voyais que cette fête lui faisait plaisir, je me propose de garder les deux enfants à condition qu’elle reviendrait le soir même. Sa joie fut complète, elle me promit de revenir le soir…

    C’était un dimanche, je fus cloué pour la journée… Prosper vient me chercher pour aller à nos plaisirs mais ce fut inutile, il me fallait rester, nous nous contentons de faire une partie de cartes. Cet ami ne voulait pas me laisser seul, je fus obligé de lui dire d’aller à ses affaires, pour moi je ne peux pas sortir. Le soir venu, Madame Gateau n’arrivait pas, je fais dîner ma petite famille et puis nous fûmes nous coucher.

    Le lendemain je me lève à bonne heure, je cours à la pépinière pour mettre mes hommes en besogne et puis je reviens à la maison, les enfants dormaient encore, je les fis lever. L’heure du déjeuner arrive, j’avais des hommes qui allaient venir déjeuner, alors il faut faire le cuisinier. Je me suis mis à faire la soupe et en plus je fais une omelette et je fais griller des sardines. Enfin voilà mon déjeuner complet. Madame Gateau arrive, en rentrant elle me donne un sourire comme si elle voulait me faire compliment de mon ouvrage… « Madame je lui dis, si vous voulez vous mettre à table le déjeuner est servi, donnez-vous la peine de vous asseoir… C’est très bien Gerbier, je vois que vous êtes un fort bon cuisinier, je vous fais compliment… Fort heureux Madame, si l’on vous avait attendu pour le préparer nous n’aurions pas déjeuné à bonne heure, vous avez manqué votre promesse, si votre mari savait cela il ne serait bien sur pas content ; mais ce n’est pas à moi de vous faire de parabole… Je vous prie n’en parlez pas à mon mari car il me coûterait sans doute… Madame soyez tranquille, les secrets chez moi tombent dans un abîme et n’en sortent plus… ».

    En effet si Monsieur Gateau avait su cette scène, aurait-il été content je vous le demande. Une jeune femme de vingt six ans, laisser sa maison, découcher, laisser des personnes chez elle qu’elle connaît à peine. Pourrai-je mettre le désordre dans cette maison ou plutôt dans ce ménage…

    Il fallait partir, j’avais des regrets que ne décrirais pas ici et que j’aurais été forcé de déclarer pour l’intérêt de Monsieur Gateau car je le regarde comme un homme digne des intérêts de sa maison. Mais non le plus sage c’était de partir d’Angoulême pour éviter toute querelle à venir. Je l’avertis donc de mon départ et il me demanda ce qui me faisait partir, je ne sus ce que lui répondre ; je lui tire une couleuvre en lui disant que je partais chez moi pour satisfaire au sort et que je passais à Bordeaux pour avoir le plaisir de voir cette superbe ville.

    Mon départ est arrivé et Prosper devait me suivre. Moi je finis ma malle que je laisse chez Monsieur Gateau en attendant que Prosper fût préparé. J’obtiens de Monsieur Gateau le certificat suivant :

     

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    Je soussigné que le sieur Gerbier Jean est entré chez moi le 11 avril en qualité de garçon jardinier et qu’il en est sorti le 29 juin et que pendant l’espace de ce temps là je n’ai qu’à me louer de son travail et de la régularité de sa conduite.

     

    Angoulême le 29 juin 1855

     

    Gateau, horticulteur.

     

     

    Prosper a du retard, son patron ne pouvait le solder, moi je m’obligeais d’espérer mon nouvel ami… Il me demanda même quelques conseils pour forcer son patron à le solder au plus vite… Moi je lui parle avec un peu de réflexion, je lui dis de prendre son patron avec douceur et plus tard s’il te faut agir autrement je t’en donnerai la démarche. 

    Trois jours s’étaient écoulés, Prosper n’avait pas encore reçu son labeur, moi je m’ennuyais de ne pas partir quoi que ces trois jours s’étaient passés sans avoir beaucoup d’ennuis. Nous les avions passés à aller rendre visite à des amis de Prosper qui conduisaient un chantier de jardin paysagé à Moutier près d’Angoulême. Nous prîmes le chemin de fer, ce fut la première fois que je fus poussé par la vapeur, et en plus nous passâmes par dessous la ville par un tunnel, travaux qui demandèrent trois ans pour leur exécution… 

     

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    Armoiries

    Angoulême (Charente), L'Hôtel de Ville, Carte postale vers 1900 

     

    Nous étions de retour à Angoulême, je réfléchissais sur l’affaire de Prosper avec son patron. Je voyais qu’il y mettait mauvaise volonté. Je conseillais à Prosper de lui envoyer un avertissement du juge de paix. Celui-ci mit bientôt mon projet à exécution, ce fut un dimanche, je fus avec lui chez le greffier. Ce dernier lui donna l’avertissement prévu… 

    Nous sortions tous les deux, parlant de nos affaires et quelle surprise, deux de mes pays s’offrent à notre vue. Ces deux pays étaient de mes intimes camarades. Jugez de ma surprise… Je les invitais à prendre un verre de vin, ce fut accepté. Prosper s’occupa de son affaire, il fut bientôt auprès de nous. Ces deux collègues partaient le lendemain pour Paris par le train de quatre heures. Prosper et moi nous partions à onze heures pour Bordeaux avec l’intention de nous arrêter à Libourne, çà fait que nous allions nous tourner le dos. Il fallait bien prendre le coup d’au revoir car peut-être que nous ne nous reverrons jamais… 

    Le coup d’au revoir fut pris, l’heure de chercher un hôtel se passa, les cafés se fermaient tous. Tout devenait si silencieux, maintenant où aller coucher… Il faut se promener. Nous fûmes dans le faubourg, là nous nous sommes couchés dans une prairie près la ligne de chemin de fer. Prosper fut mieux que nous, il avait donné rendez-vous à une amante, il fut parti une partie de la nuit dans ses bras… 

    Nous étions couchés, moi je ne pouvais dormir, je me promenais en fumant ma pipe. L’atmosphère de la nuit nous glaçait, c’était alors trois heures du matin. Nous remontons le faubourg. Chemin faisant nous rencontrons Prosper qui venait à notre rencontre. Nous remontons le faubourg ensemble. 

    Arrivés sur le boulevard de Baulieu, le sommeil commençait de nous prendre, nous nous sommes couchés de sur des bornes de pierre et bientôt nous fûmes assoupis d’un profond sommeil. Quand nous nous sommes réveillés, il faisait jour, nous n’avons que le temps de nous rendre à la gare et là un restaurateur se trouve levé. Nous prîmes le vin blanc et puis nous conduisîmes nos deux amis à la gare en leur donnant le coup d’adieu. Prosper et moi fûmes nous en campagne pour tacher de prendre un peu de repos afin de réparer la nuit dernière…

      

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    Nous nous dirigeâmes dans un petit chemin vicinal, là nous nous sommes couchés auprès d’un mur qui séparait la vigne du chemin. Le sommeil nous prit bientôt. Le soleil se faisait sentir d’une ardeur peu supportable, mais comme nous dormions d’un profond sommeil la chaleur faisait son effet sur nous sans que nous puissions nous en apercevoir. A notre réveil, tout était traversé, chemise, gilet, paletot, nous faillîmes nous trouver mal. Prosper jette son regard sur un cerisier qui semblait nous offrir ses fruits. « Mais mon ami me dit-il, pourquoi ne mangerions-nous pas de ces excellents fruits qui paraissent avoir été placés ici pour nous rafraîchir ?… ».

    « Et bien je lui dis, grimpez nous en chercher ! … ». Prosper plus prompt que l’éclair fut bientôt dans l’arbre et nous mangeâmes à notre guise de ces beaux fruits délicieux …

    Après cela nous retournons à Angoulême pour voir à nos affaires. Prosper fut se faire solder à son patron et moi je fus porter nos livrets au bureau de police. Il était déjà tard, nous manquâmes le train de onze heures, nous prîmes celui de trois heures du soir… Avant de partir de cette charmante ville, je vais vous donner quelques détails sur ses moeurs et habitudes :

    Angoulême est bâtie sur une éminence d’où l’on découvre de riants points de vue. Cette ville a des manufactures de papier considérables. Les deux sexes sont très voluptueux surtout dans le masculin. Les habitants sont gais, affables, ils aiment la danse, le jeu, en un mot tout ce qui peut égailler la vie. Les femmes portent la coiffure que voici (Dessin N°7). Il y a auprès d’Angoulême une forte fonderie à canons. Ici, on trouve aussi une poudrière auprès de la Charente.

    A cinq lieues de cette ville se trouve Barbézieux où il y a une fontaine d’eau minérale. L’église Saint-Pierre est un morceau digne de remarque...

     

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    Fichier:Blason de la ville de Barbezieux-Saint-Hilaire (Charente).svg

     Barbézieux (Charente)

     

     Page 55

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    FIN DU LIVRET I

    auquel  il manque quatre pages

    dont nous ne connaîtrons malheureusement jamais le contenu…

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