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    Séjour à Surgères – Départ d’Epannes – Visite à Epannes

    Départ pour Marennes – Rencontre d’un rochelais

    Tour du Rochelais – Mariage de mon frère

     

     

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      L1er janvier 1854 je fus prendre mon service, mon père mis son cheval à la voiture, il vint me faire la conduite jusqu’au moitié chemin. Je le remercie d’un baiser et puis je continue ma route seul. J’arrive à Surgères, je fus reçu avec beaucoup de plaisir, le père du patron m’emmena au café. Le lendemain je fus mis à l’ouvrage, je m’en acquittais le mieux possible, comme c’était des ouvrages peu difficiles je les faisais à merveille. Mais la saison des tailles arrive, ce n’en fut pas de même.

    Le premier jour je taille à droite à gauche sans savoir si je faisais bien, je ne voulais pas rester en peine, le courage y était bien mais les principes étaient absents. Le patron passe auprès de moi « Mais dit-il, c’est-il comme çà que vous savez tailler ?... Où avez-vous pris vos principes ?... Mes principes sont naturels, vous savez bien que je vous ai dit que je ne connaissais pas très bien la taille, çà ne doit pas vous surprendre !...  Si vous la connaissiez seulement un peu mais vous ne la connaissez pas du tout !... ». Moi je fus obligé de faire le muet car j’avais besoin de ses conseils.  Ainsi se passent quelques jours ou plutôt semaines, je commençais à connaître la taille mais il y avait bien autre chose dont j’étais ignorant.

    Trois mois s’écoulent, je pensais à ma malle qui était restée à Fontenay, j’aurai voulu la faire venir mais il fallait demander de l’argent à mon patron et il aurait soupçonné quelque chose, lui qui m’aurait déjà dit « Votre malle est restée au clou… ». Et moi je soutenais que non, qu’elle était restée à mon hôtel où je logeais, que j’avais fait la route à pied et qu’il m’était impossible de la faire suivre.  Et maintenant il n’est pas facile de la faire venir… Un jour je fus parler à un voiturier pour qu’il se charge de me la rendre.  Il s’en charge très bien, il me promit de la rendre à domicile, je lui donne une lettre à remettre à mon maître d’hôtel et une pour lui.  Mais quand il eut pris lecture de la lettre, il voit qu’il fallait dix francs pour acquitter.  Il me dit « Donnez dix francs et je ferai votre commission, sans cela… rien du tout, faites la faire par qui vous voudrez…  ». Je me retire à ces paroles et j’envoie à mes parents une lettre à seule fin de recevoir la réponse de suite pour me servir de la réponse pour demander dix francs à mon patron.  Voici la réponse :

     

    A Epannes le 19 mars 1854

     

    Mon très cher fils,

    Nous répondons à ta lettre qui nous a fait beaucoup de plaisir d’apprendre que tu es en bonne santé et que tu es chez un bon maître et que tu es bien accoutumé. 

    En tous cas nous, nous sommes en bonne santé pour le moment.

    Si nous avons été longs à te répondre c’est que nous avions intention d’aller te voir pour la foire de Surgères mais nous avons tant d’ouvrage que nous ne pouvons quitter.

    Je puis te dire que nous irons à Saint-Sauveur le vingt neuf de mars pour parler du mariage de ton frère ou plutôt faire convenance. Mais ça ne nous convient pas parce que nous savons de bon droit que c’est des gens qui n’ont pas grand-chose, ils ont douze mille pieds de vignes et une petite maison et ils sont quatre enfants. Ils feraient beaucoup mieux d’attendre quelques temps et de se ramasser un peu d’argent. N’ayant pas d’argent ni l’un ni l’autre, ils seront malheureux.  Il faut que tu viennes nous voir pour Pâques. Si tu as le moment, tâche de venir, nous parlerons de ça ensemble. Si tu le vois, dis-lui de s.c.s n’est pas ce qu’il lui faut.  L’on nous dit qu’il trouverait beaucoup mieux que ça.

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    Rien d’autre chose à te marquer pour le moment.

    Je finis ma lettre en t’embrassant de tout notre cœur, nous sommes tes parents pour la vie.

    Au revoir cher fils.

     

    Cette réponse quoique m’ayant fait attendre quelques jours, le jour même je la reçois je dis à mon patron « Voila une lettre de mes parents, ils demandent dix francs que je leur ai promis… Pourriez-vous me les donner de suite que je leur expédie sans retard ?... Mais oui, je peux, vu que je vous les dois… » Je pris les six francs que je fus porter au voiturier qui se chargea de ma commission et dans peu de temps il m’a apporté ma malle.

    Moi je continuais à travailler tantôt d’un côté tantôt de l’autre, nous allions toujours dans de bonnes maisons, on nous regardait comme des artistes, moi qui ne l’étais guère je faisais mon vaillant. Un jour de mardi gras que nous étions auprès d’un mur à tailler, il me survient tout à coup un tintement d’oreille qui me nuisait tellement qu’à peine pouvais-je entendre si je n’avais pas eu l’autre oreille c'est-à-dire l’oreille droite. Le tintement n’avait lieu que dans l’oreille gauche. Je passe ainsi quatre mois c'est-à-dire depuis le janvier jusqu’en mai, quand un jour le patron m’avertit que l’ouvrage manquait, qu’il fallait partir. Moi je ne savais pas trop où aller quand un jour je fis connaissance d’un jardinier qui venait à Surgères pour vendre ses légumes, j’appris qu’il lui fallait un ouvrier, je lui propose de le servir, il m’accepta.  Nous fîmes marché ensemble à raison de dix huit francs par mois.

     

    Le temps que je devais à mon patron s’épuise. Je fus faire un voyage à Epannes pour voir mes parents et puis pour chercher des papiers qu’il me fallait car l’endroit où j’allais était éloigné de vingt neuf lieurs d’Epannes. Je me suis mis en route pour Epannes le 14 mai 1854, j’arrive au toit paternel où je fus reçu avec beaucoup de joie, je fus comme à l’habitude rendre visite à tous mes anciens amis et en plus à Monsieur Décolard qui était Maire dans ce moment. Je me dirige droit à son château, je m’adresse à une servante en lui disant « Monsieur le Maire est-il ici ?... Non, Pas pour le moment… ».  Après cette réponse je fus au jardin pour voir mes anciens amis, je les trouve tous qui dorment… Je me laisse tomber auprès d’eux en attendant leur réveil qui ne fut pas bien long. Ils furent surpris de me voir auprès d’eux, nous fîmes les caresses que des amis se font après une longue absence.

    Nous parlions encore quand Monsieur Décolard vient nous surprendre, moi je m’adresse à lui ainsi « Monsieur, voudriez vous me délivrer un certificat pour plus tard pouvoir me procurer un passeport ?... Mais comment un certificat, tu n’es pas né ici… Monsieur je ne suis pas né ici mais mes parents sont ici et je suis résident d’où sont mes parents… Et bien je vais te donner çà dans un instant… ».  Il part et je continue la conversation avec mes amis.  Il ne fut pas long à revenir avec le certificat que voici, il m’en donne lecture :

     

    Je soussigné Maire de la commune d’Epannes, arrondissement de Niort, département des Deux-Sèvres, certifie que Jean Gerbier fils de Charles Gerbier jardinier à Epannes est demeuré dans cette commune jusqu’à l’année dernière et qu’il en est sorti que pour se perfectionner dans son état de jardinier.

    Je certifie en outre qu’à ma connaissance qu’il s’est toujours bien conduit.

    En foi de quoi je lui ai donné sur sa demande le présent certificat pour valoir ce que de raison.

     

    A la Mairie d’Epannes le 19 mai 1854.

     

    L.Décolard des Hommes.

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     (Dessin N°2)

     

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    Je remercie et puis je le salue. Je passe chez mes parents et je les avertis de mon changement qui ne leur faisait pas trop de plaisir.

    Le lendemain je repris ma route pour Surgères, je trouve mon nouveau patron qui m’attendait comme convenu.

    Avant de partir de Surgères je vais vous donner quelques détails sur ce pays là. Surgères, à sept lieues de La Rochelle est un chef-lieu de canton, c’est l’entrepôt des eaux de vie de tout l’Aunis. C’est un pays de vignes, le vin est le seul commerce du pays. Les habitants sont avares, les jeunes gens sont débauchés, passionnés par le jeu de billard et cartes et la danse. Les filles sont coquettes, fières. Les femmes sont babillardes jusqu’à porter préjudice à leurs voisins.  Elles sont habillées richement, elles ont pour dorure boucles d’oreilles, chaîne aux côtés, les cœurs et la croix au cou, épingles sur la tête en or. Voici leur coiffure (Dessin N°3) Les hommes portent des bonnets de coton gris et chapeaux de toile cirée, chapeaux gris le dimanche et blouses blanches. Ainsi voilà les mœurs et habitudes des habitants de Surgères département de la Charente Inférieure, Aunis.

     

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    (Dessin N° 3)

     

    Je pris ma malle et puis je monte en voiture et nous partons pour Marennes, nous passâmes à Rochefort où nous déjeunâmes, c’était le patron qui payait tout. A deux lieues de Rochefort on nous passât l’âne dans une gabarre. De l’autre côté se trouve Soubise, petit endroit très gentil d’où je payais une bouteille à mon patron qui ne me parut pas très riche.  De là nous passâmes à Brouage où il y a une poudrière considérable. Ce petit endroit est fortifié par des remparts fermés la nuit par double porte. Moi, j’admirais tout cela comme surprises. Nous arrivons enfin à La Soudière où était la demeure de mon patron. La porte nous fût ouverte par sa mère qui était seule avec lui car il avait laissé sa femme par cause d’inconduite. Après que le cheval fut à l’écurie, il me mena voir son jardin qui contenait huit journaux (*) de terre ou arpents (**).  « Voilà dit-il ce que nous avons à cultiver.  Croyez-vous qu’il y a de quoi à s’amuser ?... Oui, je lui dis, je crois que ce sera un drôle d’amusement de cultiver à deux hommes ce que deux bœufs cultivent dans mon pays… Allez, nous en viendrons à bout, la terre d’ici se cultive très bien sans beaucoup de peine… » Après cette conversation nous fûmes prendre le dîner que la bonne femme nous avait préparé de son mieux. Et comme il n’avait pas de vin nous fûmes, après le dîner, boire une bouteille à Bourcefranc le chef-lieu de la commune. La nuit arrive, nous fûmes nous coucher, je fus obligé de coucher avec lui car il n’avait que deux lits, un pour sa mère et l’autre pour lui.

    Le lendemain je me suis mis à l’ouvrage, le patron allait vendre ses légumes, moi je restais seul dans ce vaste jardin. Le dimanche j’allais me promener sur le bord de la mer qui était tout prêt de là. C’était pour moi merveilleux de voir cette vaste étendue d’eau se briser les flancs le long de la côte. Je me livrais même à la pêche du … que je rapportais à la bonne femme pour faire cuire. J’en faisais d’excellents repas.

    Le 1er juin 1854 je pars pour aller à la noce de mon frère, mais comme je n’avais pas trop d’argent pour faire le voyage il fallut ménager ; j’avais quinze francs il me fallait un paletot et une chemise que je fis emplette en passant à Rochefort. Après tout payé il me restait encore trois francs, ainsi jugez si je n’étais pas très riche pour aller à la noce d’un frère surtout que j’avais une bonne amie qui devait accepter mon bras pour toute la durée du festin.  Ne fallait-il pas aussi donner quelque reconnaissance à la nouvelle sœur pour signe de reconnaissance du vœu de son union avec mon frère ?...

    Toutes ces choses là me donnaient à réfléchir, je ne savais si je devais retourner ou partir mais j’ai promis à mon frère qui serait mécontent de mon absence.  Je me décide de partir, je fis une route à peux de frais, c’est ce qu’on appelle une route économique. J’arrive enfin à Saint-Sauveur d’où demeurait la future de mon frère et la mienne à venir. Je m’adresse, demandant leur demeure « Connaissez-vous ici un nommé Bernard qui marie sa fille demain ?... Oui, me répond un brave homme, à deux pas d’ici, ce marchand épicier devant vous… ». 

     

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    Je fus m’adresser, je frappe à la porte, le premier qui se présente ce fut Monsieur Bernard, je m’explique ainsi « C’est ici que demeure Monsieur Bernard ?... Oui Monsieur… Je suis le frère de Gerbier, je vous présente mes respects… Monsieur soyez le bienvenu, rentrez… ».  Je mis le pied dans la maison, je jetais mon regard sur deux demoiselles dont l’une appartenait à mon frère et l’autre pouvait appartenir à moi.  Je fus accueilli de toute la famille que j’embrasse sans réserves. Le jour même mon frère me fit part de son choix, je le félicite et il me dit que j’aurai pour demoiselle d’honneur sa belle-sœur. Je fus content dans le moment mais j’aurai voulu être plus riche.

    Le lendemain c’était le jour de la noce. J’eus le plaisir de voir des parents que je n’avais pas vu depuis longtemps, surtout un oncle (***) que sa première parole ce fut des reproches. Il demeurait à Niort mais comme il s’était porté pour l’empêchement de mon départ d’Epannes, je me gardais bien d’aller le voir pendant mon séjour à Niort. Moi qui ne suis pas fort pour aller écouter l’orémus d’un curé je fus en retard pour la messe j’arrive juste à la sortie, là je pris le bras de ma future, nous fûmes marquer quelques pas de danse.  Moi je faisais de mon mieux pour remplir mon rôle de danse. La journée fut suivie de plaisir, tout s’est passé assez bien.

    Le lendemain je croyais me mettre en route mais mon frère ne voulut pas me laisser partir, je restais enfin. Mes parents qui n’avaient pas encore vu La Rochelle, il fit complot d’aller s’y promener, il m’engagea d’aller avec eux. Moi je refuse à défaut d’argent, mais je leur dis que le temps me pressait qu'il fallait que je parte sans retard.

    Le troisième jour, après avoir donné mes adieux à toute la famille, sans oublier ma future que sur sa bouche je pris un doux baiser, je me suis mis en route avec quatre vingt dix centimes dans la poche et j’avais quatorze lieues à faire. Par bonheur que mon père me força de prendre un morceau de pain dans mon paquet qui me servi le long de la route.  J’avais encore cinq lieues à faire, il me restait cinq sous, j’avais faim je rentre dans une auberge « Combien vendez-vous le vin Madame ?... quatre  sous le litre… Donnez un demi litre et pour un sou de pain… ».  Maintenant je n’ai pas peur des voleurs, je fis la route sans m’arrêter après ce léger déjeuner. Arrivé à la Soudière je fis part à mon patron de mon voyage.

    Le dimanche arrive, je lui demande de l’argent pour faire le garçon, il fit des efforts pour me donner cinq francs. Je voyais mon patron encore plus pauvre que moi, car en son absence, je prêtais de l’argent à la bonne femme pour avoir du pain. La pauvre bonne femme pleurait en prenant mon argent et moi je la consolais en disant « Prenez ceci et essuyez vos larmes, par mon travail je parviendrai à en gagner d’autre… ». Le patron qui n’était jamais chez lui, il partait vendre ses légumes de tous côtés et il rapportait peu d’argent, quelquefois pas du tout.  Cà tournait mal, moi je n’avais plus d’argent ni mon patron non plus, je me voyais à la veille de tout perdre. Mon patron vient un jour me conter ses peines, voici comment il s’explique « Mon cher Gerbier, je suis perdu, je n’ai pas le sou, je ne trouve pas à vendre pour payer les frais des voyages, je ne sais pas comment faire. Avez-vous quelques sous à me prêter ?...  Moi non, je ne suis pas plus avancé que vous, vous savez que j’ai donné tout ce que j’avais et maintenant je n’ai plus le sou ; mon cher, puisque vous ne pouvez pas vendre vos légumes vous n’avez pas besoin d’ouvrier, moi je veux partir… Non, restez encore, peut être que plus tard la vente reprendra… Oui, je sais très bien ce que vous me dites là mais d’ici ce temps là il me faut de l’argent, si je travaille c’est pour me servir de mon argent… ».

     

    (*)  Journal = ancienne mesure de superficie correspondant à la quantité de terrain qu’un homme pouvait labourer en une journée. 

    (**)  Arpent = ancienne mesure agraire divisée en cent perches et variable suivant les localités (de 35 à 50 ares) 

    (***)  Peut-être Jacques ou Barnabé Gerbier.

     

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    A ces mots il part, moi je fus voir un vieux jardinier, je lui racontais à peu près mes idées, il me dit qu’il connaissait à Marennes un jardinier qui avait besoin d’un ouvrier. Et bien voilà mon affaire, je pars pour Marennes qui était tout près de là, je fus voir ce jardinier « Monsieur, l’on m’a dit que vous vouliez prendre un ouvrier, moi je suis disponible dans huit jours, si je peux faire votre affaire nous parlerons de marché… D’où êtes-vous ?... Chez qui travaillez-vous ?...  Je suis chez Rafanaux et je veux en sortir… C’est vous qui êtes chez Rafanaux, l’on ma parlé de vous plusieurs fois… Combien voulez-vous gagner ?... Je veux gagner vingt quatre francs par mois… Non, je vous donnerai vingt francs par mois et vous serez mon premier garçon, vous ferez faire l’ouvrage d’après mes ordres… Si çà vous va, allons boire une bouteille…  ». Moi je réfléchis, je trouve cela bien beau, c’était deux francs de plus que je gagnais et sûr d’être payé. Je donne la parole d’accord et puis après avoir vidé une bouteille je m’en reviens chez mon ancien patron.  Je l’avertis de mon départ, il ne fut pas très content, il voulut me faire quelques morales mais il fut payé en retour, la bonne femme versait des larmes en disant « Si nous avions de l’argent vous ne partiriez pas… Même chose bonne mère je lui dis, je peux ne pas rester d’avantage… ».

    Mes huit jours s’écoulent…. Je fus à Marennes pour acheter un livret dont je voulais retirer un certificat de mon patron… Ce fut le premier à qui je demandais un certificat. Il ne refusa pas de me faire un certificat par un douanier à défaut de ne savoir pas écrire, il signe seulement en bas du certificat que voilà :

     

    Je soussigné certifie que le sieur Gerbier Jean garçon jardinier a travaillé chez lui pendant deux mois et qu’il s’est conduit de manière irréprochable. En foi de quoi il lui a délivré le présent certificat pour servir et valoir aux besoins.

    A Sainte-Soudière commune de Marennes le 20 juillet 1854.

     

    Rafanaux.

     

    Je pars de chez lui après avoir dit au revoir, je laisse derrière moi l’argent qui m’était du, je voyais bien que ce n’était pas de sa faute s’il ne soldait pas car il n’était pas plus riche que moi qui n’avais pas le sou.  J’avais donné jusqu’au dernier sou pour pouvoir en l’absence du patron nous procurer du pain à sa mère et à moi.Cependant la brave femme tenaitmonargent qu’en pleurant, mais moi qui la rassurais en disant prenez ma bonne mère, je sacrifierai tout pour votre existence.

    Oui, bien sincèrement si j’ai passé deux mois c’était que pour l’intérêt de la mère car dès les premiers jours moi je voyais ce qui devait m’arriver, que je travaillais plus pour l’aumône que pour intérêt.  Je savais bien qu’une fois que je serais parti que le soutien de la bonne femme serait parti, chose qui ne manqua pas d’arriver après mon départ car son fils avait une très mauvaise conduite, il était passionné par la boisson ; c’est ce qui a fait toujours son malheur, c’est dommage car il était très bon ouvrier, il avait fait neuf ans de tour de France mais il avait oublié de mettre en pratique les principes d’une bonne conduite, il a fait comme bien d’autres qui voyagent que pour faire des bêtises, se livrer à toutes les débauches les plus absurdes plutôt que de suivre les bonnes mœurs, étudier cette belle nature qui frappe nos regards.

    Le 20 juillet 1854 je fus donc reprendre un nouveau service, me voilà monté en grade, je suis premier garçon. Le patron qui s’appelait Monsieur Garis me donna toutes les démarches de son ouvrage et je me mis à la besogne.  Il me fallait encore réfléchir car je n’étais pas encore très capable.  Le jour même de mon arrivée je jette mes regards sur un des ouvriers qui me paru avoir une figure d’un homme réfléchi, dès le jour même je le pris pour camarade et plus tard nous nous appelâmes … amis.

    Moi je faisais mon service le mieux possible, j’attirais l’estime de Monsieur Garis. Mon camarade qui s’appelait Rochelais, ce nom vient de son pays car il était de La Rochelle, nous faisions deux amis intimes, nous mettions même notre tabac dans la même blague, tout était commun entre nous même les secrets vulgaires.

     

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    Moi je lui mettais des idées du voyage, je le fis consentir de partir avec moi au mois de novembre pour Bordeaux. J’écris une lettre à mes parents, je leur fais part de mon départ pour Bordeaux, je reçois la réponse que voici :

     

    A Epannes le 9 août 1854

     

    Mon très cher fils,

    Je réponds à ta lettre qui m’a fait beaucoup de plaisir d’apprendre que tu es en bonne santé.  Pour moi j’ai toujours le mal d’estomac. Cela me fâche beaucoup que tu t’éloignes de moi plutôt que de te rapprocher.  Quant à ta mère et ta sœur, elles se portent bien.

    Mon cher fils tâche donc de te rapprocher de moi, je serai plus heureux de te voir auprès de moi. Je croyais avoir du soutien de vous et je n’en ai pas. C’est bien malheureux pour moi après m’avoir tant donné de peine à vous élever, il n’y a que ta sœur qui prend part à nos peines, elle travaille beaucoup, elle est tous les jours dans le champ à ramasser du blé.  Elle en a ramassé presque un sac. A Epannes la récolte est bonne en fait de blé, mais les vignes sont mangées, le grain diminue il ne vaut plus que deux francs quatre vingt dix le sac. Ainsi si tu ne trouves pas d’ouvrage, en te rapprochant de nous viens avec nous. Comme je n’étais pas bien portant j’ai beaucoup d’ouvrage et tu trouveras bien une place auprès de moi. Ainsi viens au plus tôt.

    Rien d’autre chose à te marquer pour le moment.

    Je finis en t’embrassant de tout cœur. 

     

    Charles Gerbier.

     

    Cette lettre si triste me donna à réfléchir, je me voyais obligé de retourner au toit paternel plutôt pour la santé de mon père que pour tout autre chose, mais je me disais « Ce sont peut être des fables puisqu’ils me disent de tâcher de trouver de l’ouvrage plus près, c’est qu’ils ont peur que mon voyage de Bordeaux me fasse oublier l’estime que je leur dois ...» 

     

    Oh !  Mes chers parents, je suis le même à deux cents lieues comme à deux lieues…

     

    Je confiais mes réflexions à Rochelais qui me dit « Mon ami, les parents voudraient avoir toujours leur enfant sous les yeux, les miens faisaient de même dans leur vivant. Comme je leur parlais que je voulais partir, ils m’enchantaient de leurs conseils, auraient-ils pas mieux fait de me laisser partir que de m’avoir sous les yeux à leur faire mille peines, à leur dépenser plus que je gagnais.  Ainsi crois-moi ne te rends pas, fais plutôt quelques sacrifices pour leur envoyer… Moi je dis tu as raison mon ami, Et bien je ne me rends pas, j’ai commencé un tour de France il faut que je le finisse. Et bien mon ami quand partirons-nous ?... Le 1er novembre nous partirons… Oui c’est très bien, tu es libre tous les mois mais moi je n’en suis pas de même, j’ai fait arrangement avec le patron pour une année… Pour une année ce n’est pas gênant, tu lui dois que dix neuf jours d’avertissement, s’il ne veut s’y conformer nous trouverons d’autres manières de nous débarrasser de lui, mais laisse venir le moment… »

    Quelque temps s’écoule parmi toutes ces consultations, moi je reçois une seconde lettre de mon père. A peine pris-je le temps de faire sauter le cachet pour savoir ce que l’on me marquait, je lus ainsi :

     

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    Mon cher fils,

     

    Je t’ai écrit qu’il fallait que tu viennes aussi rends-toi car je suis tous les jours malade et j’ai tant d’ouvrage que je suis obligé de travailler. Je tomberai malade et vous ne pourrez plus m’en retirer.  Si tu tiens à ton père tu ne dois différer de venir.  Je suis malheureux d’avoir des garçons qui ont si peu égard à ma position. C’est malheureux après avoir donné les peines que je me suis donné pour vous élever. Ainsi viens et si tu ne viens pas je te ferai venir de force.

    Je finis en t’embrassant.

     Ton père                                

                                              

    Charles Gerbier                                                                

     

    Comme je prenais lecture de cette lettre je fus surpris par Rochelais « Qu’est ce que tu as mon ami, tu parais triste me dit-il… Moi, non je ne suis pas triste mais voilà une lettre qui me contrarie, mon père veut me forcer de me rendre chez moi, il est malade j’en suis fâché ; mais je serais auprès de lui que je ne le guérirais pas et puis je ne retourne pas avant d’avoir vu Bordeaux. Moi je connais bien leur malice, c’est ma sœur qui fait mettre tous ces droits là, elle ne veut pas que je parte plus loin mais je vais leur envoyer vingt francs pour prendre un ouvrier dans ma place et moi je veux voyager. C’est là mon seul bonheur sur cette terre… Tu as raison me dit Rochelais, nous partirons ensemble, demande vingt francs au patron et envoie les de suite à tes parents… Oui mon ami je lui dis… »

    Je demande vingt francs à mon patron et je fus les porter à la poste.

    « Maintenant je dis à Rochelais, il faut s’occuper de préparer notre départ, comment ferons-nous ?… De quelle manière pourrai-je décider mon patron à me laisser partir, vu que nous partons à deux il va rester sans ouvriers ?… Et moi, il va me forcer de rester pour finir mon année… Et bien mon ami je lui dis, je vais te donner un conseil si tu veux me promettre d’être secret… Oui je te jure, parle je t’écoute… Pour ne pas donner soupçons à notre patron de notre départ ensemble, il faut que tu te fasses une bonne amie en lui promettant le fait du mariage et moi je servirai d’interprète auprès d’elle.  Mais ne t’adresse pas à une fille novice que tu pourras porter la terreur dans toute la famille, adresse-toi à quelques personnes où il n’y a pas de danger à perdre leur honneur… Mais mon ami tu as raison, j’ai déjà fais une connaissance l’autre soir au bal, et après le bal je fus l’accompagner chez elle et je fus payé de retour dès le soir même… 

    Mais où reste-t-elle ?… C’est-elle une honnête fille ?… Non, car pour la seconde fois que je lui parle nous fîmes l.c.b.o… Ainsi juge d’elle… C’est ce qu’il te faut mais montre lui un amour politique et moi de mon côté je ferai de mon possible pour décider le patron en lui parlant de ton mariage précipité… »

    Rochelais ne manque pas de suivre mes conseils, moi de mon côté je fus rendre visite à mon ancien patron pour tâcher de me faire solder mais ma peine fut inutile, je touchais douze francs et le reste je le jugeais perdu.

     

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    Marennes  (Charente Martime), Arrière Port, Cartepostale vers 1900

     

    Le choléra se fit sentir dans cette ville, je me cru obligé d’avancer mon départ mais je fus retenu par Rochelais que ses amours allaient assez bien. D’un autre côté Monsieur Garis qui était notre patron me donnait des idées de ne pas partir en disant que le choléra n’aurait aucune influence sur nous, qu’il nous nourrirait de manière hygiénique… Moi, ce n’était pas l’envie de partir qui me faisait parler, c’était pour sonder son caractère à seule fin de mieux le connaître. Et comme j’avais l’idée que ma lettre aurait attendri le cœur de mes parents qui voulaient me faire rendre auprès d’eux, j’en attendais la réponse avec impatience, j’étais presque sûr que mon argent m’aurait remplacé auprès de mon père. Il ne manque pas de m’envoyer la lettre suivante :

     

    Epannes le 13 septembre 1854

     

    Mon cher fils,

     

    Je réponds à ta lettre qui m’a fait beaucoup de plaisir d’apprendre que tu étais en bonne santé et que tu étais encore à Marennes. Reste le plus possible, tu seras encore mieux que voyager. Mais mon cher fils si je t’ais marqué de venir auprès de moi ce n’était que pour t’empêcher de t’éloigner d’avantage, mais comme tu me dis que tu veux voyager fais comme tu voudras je ne peux pas t’en empêcher. Je vois que tu as une conduite irréprochable mais moi je serai fâché de te faire de la peine. J’ai fait part de ta lettre à Monsieur Décolard, il s’est trouvé satisfait de ta conduite. J’ai bien reçu la somme que tu m’as envoyée. Tu me marques que tu m’enverras les sueurs de ton front, il ne faut pas que tu te laisses sans argent, pour cela si je n’étais pas malade comme je suis je ne te demanderai pas d’argent.  Cependant je suis un peu mieux, je commence à travailler à mon jardin mais pour mes vignes je ne puis pas les faire, je serai forcé de les donner à faire à un vigneron.

     

    Cher frère,

    Tu me marques d’avoir soin de mes parents, que tu m’enverras récompense.  Je n’en demande pas car c’est mon devoir qui m’oblige à le faire.  Notre frère était ici dimanche, il a prit lecture de ta lettre.  Il nous donna des indices sur sa position, il est très heureux en ménage et il fait un commerce de grains de tous genres sur lequel il gagne très bien sa vie.  Il te dit bien des choses de sa part ainsi que son épouse et l’honorable famille Bernard te salue.  Cher frère nous te demandons quand tu changeras d’endroit de nous écrire et si tu peux venir nous voir cela nous fera plaisir.

     

    Au revoir cher fils, Nous sommes tes bons parents pour la vie.

     

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    Je ne manque pas de faire part de ma lettre à Rochelais qui ne fut pas fâché d’apprendre que mes parents me laissaient libre. « Et bien maintenant dit-il, occupons-nous de mon prétendu mariage » Dès le soir même il fut voir son amante, d’après ce qu’il me dit il lui parla ainsi  « Mademoiselle, voila le temps qui me presse à vous confier les sentiments que m’a inspiré votre honorable personne, je vous aime et si vous voulez m’accepter pour époux je serai le plus heureux des mortels.  A quoi nous servirait d’entretenir l’amour plus longtemps, ne me connaissez-vous pas comme un amant fidèle ?... ». Suzette était le nom de son amante, elle répond « Monsieur, je vous crois incapable de violer vos promesses, oui je vous promets le fait du mariage et c’est à vous de fixer le jour où doit finir nos amours.  Mademoiselle, le jour désiré sera le plus tôt possible et pour la Toussaint sera notre union… ». Jour heureux hâte-toi de venir.

    Il vient ensuite me raconter ce qui se passait. Le lendemain je ne manque pas d’aller rendre visite moi-même à Suzette et comme ami de Rochelais elle me reçut très bien.  Elle me parlait la première de Rochelais, c’est ce que je demandais pour tâcher d’embellir les choses. « Ce Rochelais, votre camarade, est-il un bon camarade, allez-vous bien ensemble ?...  Moi je l’interromps… Mademoiselle, oui c’est un camarade modèle, depuis que nous sommes ensemble je le regarde comme mon frère ; il est doux, poli, rempli de capacités pour son état, la femme qui l’épousera pourra dire qu’elle prend un homme modèle… ».

    Je voyais la personne de Suzette mettre mes paroles en pratique, elle me fit mille questions mais je lui répondais toujours à l’avantage de Rochelais. Enfin, je la laissais se remplir de charme et je fus raconter ce qui se passait à Rochelais en lui disant « Poursuis ta proie, tu es sûr de l’atteindre, elle vient de se loger sous la bouche meurtrière, tu n’as plus qu’à chasser adroitement… Mon ami, je ne vais y manquer dès demain… Oui, mais pour laisser le moins de soupçons possibles à notre patron, il faut que tu lui dises que tu vas à La Rochelle pour prévenir ta famille et pour tes papiers qu’il te faut pour ton mariage… Tu pourras aller d’un autre côté plutôt que d’aller chez toi… Tu as raison, oui dès ce soir je vais l’avertir de mon départ pour La Rochelle… ».  Il n’y manqua pas dès le soir même, il fallait en finir car notre départ était proche…

    Il parla ainsi à Suzette « Voila notre union qui s’approche, je vais partir chez moi pour chercher mes papiers et prévenir ma famille… Oui cher ami, vas et dimanche après ton retour nous irons à l’île d’Oléron en prévenir mon père… As-tu assez d’argent pour faire ton voyage, as-tu besoin de dix francs ?... Chère Suzette, dix francs sortis de ta bourse seront pour moi sans refus… » Rochelais prit les dix francs et il vient me raconter sa capture, moi je le louais pas trop d’avoir accepté l’argent de Suzette, je lui disais « C’est bien assez de se jouer d’elle sans profiter de son labeur… Lui rendre çà serait peut-être un soupçon pour elle… Va, pars avec les dix francs à Saintes, tu verras si l’ouvrage va bien dans ce pays là et surtout sois trois jours absent… ». 

    Le Rochelais mit en pratique mes paroles, avant de partir il prévient le patron de son mariage. Celui-ci ne fut pas très content, il lui répond « Votre prévenance ne m’est rien, croyez-vous quand vous serez marié que votre fortune sera faite ?... Vous êtes chez moi pour un an et vous le ferez !... Moi, faire un an chez vous ?... Non, je me marie ce n’est pas pour rester au service des autres.  Dès demain je pars chez moi chercher les papiers qu’il me faut, ainsi procurez-vous un autre ouvrier !... ». Moi j’attendais le départ de Rochelais pour calmer la colère de Monsieur Garis, je savais bien qu’après son départ, il me parlerait de son faux mariage. J’étais à mon ouvrage quand Monsieur Garis vient me voir « Croyez-vous dit-il à ce mariage là ?... Un homme comme Rochelais, habile, fort, prendre une femme qui n’est pas digne de lui ?... D’autant plus je le forcerai de rester le reste de son année chez moi… Je répondis c’est une folie que vous ferez, supposons que Rochelais reste de force, comment ferait-il son service ? D’autant plus qu’il ne restera pas car il m’a dit qu’il prenait un jardin à son compte sitôt après son mariage… Mais quand se marie-t-il ?  Ah, je n’en sais rien, vous devez le savoir mieux que moi car il doit vous avoir averti… ».

     

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    Monsieur Garis, après cette réponse, me laissa seul. Moi j’attendais le retour de Rochelais pour l’avertir de tout cela.

     Deux jours s’écoulent, le troisième Rochelais arrive, nous fûmes faire un tour de promenade pour nous confier nos secrets « Et bien mon ami, comment va l’ouvrage dans les pays où tu deviens ?... Je vais te raconter mon voyage… Je suis arrivé à Saintes, je me suis occupé de voir dans plusieurs établissements, je n’ai trouvé qu’un patron qui pourra prendre un de nous deux. Je suis passé sur le pont du faubourg des dames, j’avais dans les doigts l’anneau de Suzette qu’elle m’avait donné comme reconnaissance. Je l’ai plongé dans la rivière en disant  je te méprise et tu ne serviras plus à faire des gages d’amour... Et maintenant comment faire pour annoncer mon retour à Suzette ?... Prends dans ta malle des certificats revêtus du cachet du Maire, portes les à Suzette elle ne sait pas lire, c’est très facile tu lui diras que ce sont des extraits de mort de ton père et de ta mère et que plus tard le Maire t’enverra ton acte de naissance… » Il ne manqua pas de faire ce que je lui conseillais… La pauvre Suzette cru tout...

     

     

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    Fichier:DrapeauOleron.png

    Ile d’Oléron (Charente Maritime), Carte de l'île, Carte postale vers 1900

     

    Le dimanche suivant ils furent à l’île d’Oléron où était le père de Suzette, je fus engagé d’aller voir avec eux mais je refusais pour faire voir que je n’étais pour rien au mariage.  Je me contentais seulement d’aller rendre visite à l’hôtel, aux camarades de Suzette qui se réjouissaient d’aller à la noce. Rochelais de retour me raconta son voyage « Mon ami dit-il, j’ai été fêté par le père de Suzette, il m’a accablé de caresses quand je luis demandais la main de sa fille car il se croyait débarrassé d’elle… » Après que nous fûmes débarqués le soir pour nous rendre à Marennes, j’ai pour la …, parmi toutes ces désirables m’embrassaient avec tendresse.

    Quelques jours avant notre départ, Suzette demanda à Rochelais si son acte de naissance devait bientôt arriver.  « Ah !... dit Rochelais, voila trois jours qu’il est arrivé, Gerbier a reçu la lettre et il ne me l’avait pas encore donnée. Je suis en colère contre lui de garder une lettre qui ne lui appartient pas ».

     

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    Je fus averti, je ne manque pas d’en faire part à Suzette « Mademoiselle je lui dis, votre amant est fâché contre moi pour peu de chose, une lettre que je ne lui ai pas remise de suite, il faut qu’elle soit secrète » La pauvre Suzette me demanda excuse pour lui, elle paraissait fâchée de ce que Rochelais me montre une colère aussi violente.

    La Toussaint était le mercredi, jour que nous devions partir. Le dimanche auparavant, moi je parle de nouveau à Monsieur Garis de mon départ pour Bordeaux. Rochelais se trouve là « Et vous dit-il, quand croyez-vous partir ?... Mardi je partirai pour faire les dernières démarches de mon mariage et il faut que j’aille à Rochefort pour m’assurer d’un jardin »  Monsieur Garis lui répond froidement « Vous ne partirez pas !... Et bien nous verrons dit Rochelais avec un visage en furie ». Il part de suite chez le juge de paix, celui-ci lui remet une lettre pour remettre à Monsieur Garis.  Rochelais fut la lui porter au café. Il prend la lettre, il la met dans sa poche comme un mouchoir…

    Cette lettre renfermait l’ordre de se rendre le lundi devant le juge de paix. Rochelais s’y rend mais Monsieur Garis n’y fut pas.  Rochelais menaçait de lui faire signifier mais moi je le rassure en disant « Il te laissera partir… S’il n’avait pas voulu que tu partes, il se serait rendu devant le juge de paix…  ».  Rochelais m’écouta encore une fois.

    Le mardi matin, comme c’était l’habitude de manger un morceau dès le matin, moi je rentre le premier à la maison. Monsieur Garis me demanda « Où est Rochelais ?... Je n’en sais rien.  Mais quand part-il ?... Il part aujourd’hui d’après ce qu’il ma dit hier soir… Mais je ne le paierai pas… Si vous feriez mieux de le payer car d’une mauvaise bête il n’y a rien à tirer, il m’a dit qu’il vous ferait paraître en justice »  Au même instant Rochelais rentre, Monsieur Garis lui dit « Vous, plutôt que de manger, allez faire votre malle !... » Rochelais ne fait qu’un saut de la maison à sa chambre et moi sitôt déjeuné je fus le rejoindre.  Je lui dis « Mon ami, je vais au jardin de Sainte-Soudière tailler une haie, tu viendras me voir, je ne peux pas rester plus longtemps avec toi ici car le patron aurait des soupçons ».  Moi je pars faire ma besogne, le Rochelais vient me voir comme il était entendu, j’avais eu le soin de prendre du pain pour mon ami et pour moi. Il déjeune et nous fûmes boire un verre de vin à une auberge qui se trouvait près de là. Nous nous donnâmes rendez-vous pour le lendemain.

    « Va je lui dis, porte ta malle chez le messager et moi le soir je porterai la mienne ». Il part, moi je me rends à bonne heure pour préparer mon départ du lendemain, il me fallait un passeport, je priai Monsieur Garis de venir signer avec un de ses confrères. Il ne s’y refuse pas.  Il me signe le certificat suivant :

     

    Je certifie que le nommé Gerbier Jean m’a servi les passés trois mois et demi en qualité d’ouvrier jardinier et qu’il m’a servi avec honneur et probité.

    C’est pourquoi je lui délivre le présent pour lui valoir et servir en cas de besoin.

     François Gary

    A  Marennes le 31 octobre 1854

     

    Vu pour légalisation de la signature du sieur François Gary jardinier à Marennes apposée ce jour le 31 octobre 1854.

    Le Maire, Lormier

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    (Dessin N° 4)

     

     

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    Avant de partir de ce pays je veux donner au lecteur la description. Marennes est une petite ville peu commerçante, son plus grand commerce est la pêche. On y pêche des huîtres vertes très estimées, on pêche aussi des moules et à une lieue de Marennes on trouve l’île d’Oléron.  Un peu plus loin se trouve l’île d’Aix où les russes furent mis pour le travail de la terre ; ce sont les premiers prisonniers de la campagne de Crimée. Sur les parages de Bordeaux, au fleuve de la Seudre se trouve le gouffre de Maumusson (*) qui fait retentir ce mugissement à plus de dix lieues, il attire les vaisseaux de deux kilomètres quand il est en furie. Il y a encore dans ce pays beaucoup de salines ou marais salants. Les habitants sont tous pécheurs ou marins ou saumoniers. Les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes ; les hommes d’ordinaire partent pour les longs cours, ils ne restent pas pour ainsi dire dans le pays. Les hommes comme les femmes marchent pieds nus dans le beau temps pour vaquer à leurs travaux. Les femmes sont coiffées dans un foulard et dans leurs jours de fête elles portent la coiffe large dont voici l'échantillon (dessin 5) Je me bornerai à ne décrire que la coiffure des femmes car pour les hommes c’est presque partout la même manière de se coiffer à quelques choses près.

     

     (*)  Le pertuis de Maumusson : détroit entre l’île d’Oléron et le continent .Voir illustration page 28.

     

     

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    (Dessin N° 5)

     

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    Fichier:Blason fr ville Marennes (17).svg

    Pêcheuses d’huîtres des environs de Marennes, Charente Maritime

    Carte postale errs 1900

     

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    Moi, je ne laisse pas Marennes sans avoir livré de mes traits d’humanité. Un soir que Rochelais et moi nous faisions un tour de promenade après notre pénible journée, tout à coup j’entends sangloter à quelques pas de là, je m’approche pour voir ce que c’était, je fus surpris de voir un homme qui poussait des gémissements, on aurait dit à le voir qu’il était « gris »  Je lui parle en disant « Qu’avez-vous donc mon ami qui vous fait mener une aussi triste vie ?... C’est Monsieur que je serai forcé de coucher à la belle étoile, je suis cependant un honnête homme et personne ne veut me loger, c’est vrai qu’il est une heure indue mais du moins on devrait se lever… ». Je voyais qu’il n’était pas du pays, je lui demande comment il est arrivé si tard dans un aussi triste pays parmi un peuple si arriéré.  « C’est Monsieur que je devais aller à Bordeaux et ce soir j’ai manqué le dernier bateau et il m’a fallu redoubler ma route et arriver ici. Je me suis occupé de trouver un hôtel et déjà on était couché, c’était dix heures du soir, j’ai passé presque toutes les auberges sans pouvoir loger. Je suis un ouvrier boulanger, je fais mon « Tour de France »… Suivez-nous je lui dis, nous allons vous faire loger, nous sommes comme vous des ouvriers, ici aujourd’hui demain plus loin. Venez, je vous ferai loger ou vous coucherez avec nous, vous partagerez notre lit  ».

    Nous voila partis accompagnés de Rochelais ; je fus frappé, aucune auberge où je croyais faire ouvrir, mais non ce fut impossible. Nous fûmes à bien d’autres, tous leurs lits étaient pleins à ce qu’ils disaient. Enfin je fus m’adresser à un petit bouchon dont je voyais encore de la lumière, je les priais de vouloir bien loger un ouvrier étranger. Ils firent encore quelques résistances mais je les priais et je m’offrais de payer pour l’ouvrier à défaut d’argent. Enfin ils se décident après bien des résistances. 

    Le pauvre boulanger m’offrit tout ce qui me ferait plaisir mais je n’acceptais rien. Je lui tends la main en disant « Au revoir, peut être un jour nous pourrons nous rencontrer plus loin, là je pourrai avoir besoin de votre service car un bienfait n’est jamais perdu »

     

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    Paysannes du Poitou, Carte postale vers 1900

     

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