• > MÉMOIRES / LIVRET III / CHAPITRE X

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    …Il faisait déjà tard, je me mis en route pour retourner à Ernée… 

     

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    Représentation schématique du cheminement emprunté par Jean Baptiste 

     

     

    (Les premières pages de ce chapitre sont malheureusement manquantes)

     

    Visite à Laval

     

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    En cliquant sur les documents, vous obtiendrez une image agrandie 

     

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     Armoiries

    Laval (Mayenne) – Les moulins de Bélaillé et le vieux pont, Dessin de Jean Baptiste Messager

     

    … et sitôt que j’eus la nouvelle, je retourne à « l’Hôtel de France » où descendait le voiturier. Le fils Bonneau me suit. Arrivé à l’hôtel, je demande le voiturier. On me dit qu’il était parti à l’exposition porter un ballot d’arbres. Je remonte sans perdre de temps, je trouve le ballot arrivé. De suite à l’ouvrage, je dis au jeune Bonneau « Pressons-nous, nous voilà en besogne  !... ». Les arbres étaient déjà placés lorsque Monsieur Bonneau arriva. Celui-ci fut ravi de voir tout placé à sa place. Il s’occupa à son tour de ses caisses. Cela fait, Monsieur Bonneau me dit «  Maintenant, allons déjeuner… ». En effet Monsieur Bonneau fit servir un déjeuner copieux et nous fûmes ensuite à la rencontre de Madame Bonneau. L’ayant rencontrée, nous remontâmes voir l’exposition où je croyais entrer librement. Mais pas du tout. Il fallait payer 90 centimes pour rentrer. Monsieur Bonneau avait le droit de rentrer. Moi, pas trop riche et qui voulait pourtant bien… Enfin je me décide à donner la prime voulue, et puis nous rentrons.

    Je rentre premièrement dans la salle de l’industrie. On jeta un regard à chaque chose. Monsieur Bonneau et sa famille fit son tour lestement sans trop s’arrêter. Moi, occupé à regarder, je ne m’aperçus pas de leur sortie. Cela fit que je restais seul, les ayant perdus de vue. Je n’en continuais pas moins ma visite d’une salle à une autre. Trois heures se passent dans cette promenade. Une fois sorti, je me dirige pour voir les préparatifs de la cavalcade.

    J’avais à peine fait trois cents mètres que j’aperçus la famille Bonneau. Ils me demandent pourquoi je m’étais séparé d’eux « Monsieur, ce n’est pas de ma faute car je ne vous ais pas vus sortir. Et puis en outre, comme je n’ai pas les moyens de rentrer une seconde fois à l’exposition, j’ai voulu tout voir avant de sortir… Vous avez très bien fait mais maintenant venez avec nous… ».

     

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    Je me promène toute la soirée avec eux.

    Le soir arrive. Je cherchais le moyen de m’esbigner d’eux car je n’avais pas les moyens de donner cinq francs pour coucher et comme Monsieur Bonneau m’avait fait des honneurs toute la journée, je ne voulais pas lui devenir coûteux d’avantage. Comme nous passions dans la foule, je retourne sur mes pas et je pris une autre direction.

    La nuit arrive. Je fus voir la cavalcade de nuit qui représentait Charles VIII reçu par les ambassadeurs de Milan et les présents de chasse que lui apportait le noir. Des feux de Bengale et plusieurs exercices firent le délice d’une jolie fête. Après avoir fait toutes les manœuvres sur la « Place de la Halle aux Toiles », la cavalcade prit son parcours dans quelques rues éclairées dans ce qu’il y avait de mieux. Après ce parcours, la cavalcade rentre. Moi, je me dirige vers la « Place de l’Hôtel de Ville » où le peuple frétillait comme en plein jour. J’avais faim. Je rentre dans une baraque où je mangeai deux galettes à la mode de la Bretagne. Après cela, je fus me promener. La foule diminuait, chacun rentrait à son gîte. « Et moi, où est le mien ?... Je n’en sais rien… Cependant, j’ai sommeil… Allons, il faut se coucher quelque part… ».

    Je me dirige sur la route d’Ernée où j’aperçois un mur en chantier. « Voilà mon affaire… ». Je me couche derrière et m’endormis au bout de quelques minutes. Au bout de quelques temps, je fus réveillé par la pluie. Je me lève, j’étais glacé de froid. Le jour commençait à paraître. Je me rends en ville pour prendre quelque chose pour me réchauffer. Après cela, je fus me promener. Chemin faisant, je rencontre le fils Bonneau qui se promène avec un de ses camarades. Celui-ci me demande comment j’avais passé la nuit, où j’avais couché. Je me donne bien de garder de lui dire que j’avais couché dehors. Je lui dis que la nuit s’était très bien passée. «  Venez me dit-il, que je paye la goutte et ensuite nous irons à l’hôtel rencontrer mon père qui sera bien aise de vous voir car il vous croyait parti. Nous fûmes donc à l’hôtel où je trouve Monsieur Bonneau à table avec sa famille. A mon approche, « Tiens, voilà Poitevin dit-il… Où avez-vous couché ?... Comment vous-êtes-vous séparé de nous hier soir ?... Sans le vouloir, parmi la foule, je vous ais perdu et pas moyen de vous rencontrer… Et bien, maintenant que vous voilà, acceptez une tasse de café, puis nous sortirons ensemble… ». En effet, nous sortîmes et nous fûmes une partie de la journée ensemble, c'est-à-dire jusqu’à onze heures…

    C’était le dimanche, la cavalcade devait parcourir la ville. Des chars étaient montés, l’un pour les filatures de coton, l’autre pour les mécaniciens et l’autre pour les fabricants de chaux. Tous ces chars ornés d’ouvriers qui travaillaient avec attention comme à leurs travaux habituels. Une quête fut faite pour les pauvres. Parmi tout ce tumulte, je ne tardais pas à perdre la famille Bonneau pour la troisième fois. Je ne les revis plus qu’à Ernée, à mon retour.

    Cette journée se passe, la nuit arrive, je me dispose à partir de Laval. Mais avant que de partir, je vais vous donner quelques descriptions de cette ville: Laval est une ville accidentée où l’on trouve de remarquable une vieille église construite par les romains. Le pont de fils de fer sur la rivière est remarquable. La Place de l’Hôtel de Ville. Un pont où passe le chemin de fer, à quatre arches d’une élévation extraordinaire qui rendent un écho surprenant. Ce pays est fort triste, la classe ouvrière se contente d’un minime salaire.

     

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    Il faisait déjà tard, je me mis en route pour retourner à Ernée. A peu près à moitié route, le sommeil trouble ma marche. Je lance des regards de droite et de gauche pour pouvoir passer deux heures de sommeil. A peu de distance de la route, j’aperçois un cordon de chaume. Je me dis « Voilà mon affaire… Là je vais me reposer. Qu’est-ce que j’ai à craindre ?... Rien, pas un animal pour me faire du mal. Ici en France nous n’avons pas de lions, ni panthères, ni tigres. Pas un seul animal de proie, que les loups. Ils n’attaquent l’homme que rarement. Je n’ais donc que l’homme à craindre. Mais celui-ci ne viendra pas me chercher dans une aussi triste position. Puis, s’il venait, que ferait-il ?... Ma première réponse lui ferait perdre toutes espérances. Tout en faisant ces réflexions, je me rapproche du cordon de chaume où je me plonge, et au bout de quelques minutes je m’endormis d’un profond sommeil.

    Je fus réveillé par le bruit d’une voiture. Je me relève et reprends ma route. J’étais déjà arrivé à 4 kilomètres d’Ernée, lorsque j’aperçois une voiture de loin. Cette voiture stationnait à une auberge. Je passe sans m’arrêter, mais une voix sort de cette voiture, qui balbutiait ainsi «  Voila Jean qui vient tout gentiment de la fête, vous passez bien fier… ».  Je m’arrête à ces dernières paroles, et je m’approche de la voiture. Je reconnu la personne qui m’avait parlé. C’était une connaissance. Elle était avec son mari et une autre connaissance. Je pu répondre au reproche qu’elle m’avait fait en passant « Madame vous êtes dans l’erreur de me juger fier, car je ne m’attendais nullement de vous trouver sur cette route. Mais sans être trop curieux, où allez-vous comme cela… Je vais à la fête de Laval, voulez-vous venir avec nous ?... Ah diable non, je vous remercie infiniment. J’en ai assez comme cela. J’ai vu ce que je voulais voir, et puis maintenant que voir ?... Tout est à peu près fini… Vous faites comme celui qui doit aller dîner à cinq heures et qui arrive à dix, et qui ne trouve que le plus sale que la négligence du valet n’a pas desservi… Cela ne fait rien puisque je suis en route, je vais même chose… Bon voyage Madame, bon divertissement… Pour moi, je rentre… Ah oui mais venez prendre quelque chose avec nous de tout cœur… ». La goutte fut ce que j’acceptais, car toute autre boisson m’aurait fait mal car je n’avais pas mangé depuis le jour précédent. Trop fier de demander du pain, je me contentais d’un petit verre et puis je leur donnais un second salut et je me mis en route.

    J’arrive à Ernée à dix heures à peu près. Ce jour là, je ne fus pas travailler. Le lendemain, je fus reprendre mon ouvrage avec mes collègues. Ceux-ci ne manquèrent pas de me demander quelques détails de la fête. Moi je leur mis sous les yeux à peu près tout ce que j’avais vu.

    Parmi toutes ces débâcles, mon départ s’approchait de jours en jours. Sans trop le faire voir à mes collègues, je leur lâchais des paroles qui voulaient dire « Dans trois semaines, je pars… ». Parmi eux, il se trouvait un jeune homme appelé Victor Fouraud qui voulait bien voyager, mais il avait le cœur trop froid pour partir seul. Un jour il me confia son désir de voyager, mais je crains me dit-il, de ne pas trouver d’ouvrage. Je lui dis « Pourquoi avez-vous peur puisque vous n’êtes jamais sorti de votre anneau ?... Ce serait bon à moi d’avoir peur… Lorsque j’ai fait soixante neuf  lieues sans trouver d’ouvrage et presque pas d’argent, ceci devrait m’intimider pour tenter un second voyage… Mais au contraire, cela me donne du courage et je vais vous dire comment : Je suis parti dans une mauvaise saison, la plus mauvaise de l’année pour notre état. J’ai fait beaucoup de chemin. Mais comme vous voyez, j’ai trouvé ici, dans un anneau retiré où nul voyageur ne s’arrête…Oui, mais il fallait que Monsieur Bonneau ait un ouvrier malade, car sans cela vous n’auriez pas trouvé ici… Vous avez raison, mais comme la chance poursuit les voyageurs courageux, moi j’étais poursuivi malgré moi dans ce pays ci où il me venait pourtant des idées pour partir d’un autre côté, mais malgré moi j’ai suivi celles qui m’ont entraîné par ici…

     

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    Vous avez peut-être le bonheur  que d’autres n’ont pas, car moi j’ai vu passer par ici des voyageurs qui mendiaient faute de travail… Oui, ceci arrive à des fainéants ou des gouapes, ou des gens qui cherchent de l’ouvrage et qui prient Dieu de ne pas en trouver. Et si, malgré cela, il arrive qu’ils trouvent, ils vont travailler deux ou trois jours et puis ils demandent une fois plus qu’ils ne peuvent gagner à seule fin qu’ils trouvent une cause pour partir. Et puis où vont-ils sans argent, il leur faut bien mendier ou voler et les honnêtes gens prennent le premier et les gens de mauvaises mœurs prennent l’un et l’autre… Ecoutez bien ce que je vais vous dire : j’ai bientôt quatre cents lieues de tour de France. Et bien je n’ai, jusqu’à aujourd’hui, demandé que quelques verres d’eau sur ma route, et pourtant mes parents ne m’ont jamais envoyé un sou, et comme vous savez, nous gagnons un prix très minime. Comme vous voyez, je ne suis pas mort de faim. Le principal de tout cela, c’est avoir assez de conscience pour se conduire de soi-même sans demander de conseil à personne. Pour moi, je suis de ceux qui détestent les conseils. Lorsque je dis il me faut partir, je pars et personne ne peut m’empêcher de partir puisque je suis indépendant. Qui peut me forcer de rester? Personne. Une idée me vient, je la réfléchis et puis je la mets à profit… ».

     

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    Armoiries

    Ernée (Mayenne) - Avenue du Président Carnot, Carte postale vers 1900

    " Midi et soir, les chaussonniers du début du XXème siècle, descendaient du travail en empruntant le milieu de la rue..."


    Il y avait un autre ouvrier qui entendait la conversation. Il prit la parole en s’adressant à Victor « Puisque vous n’osez pas partir seul, partez avec Gerbier quand il partira. Ce sera une belle occasion pour vous. Lui, il connaît le voyage. Il vous soutiendra et il vous guidera… ». Victor ne dit rien du moment, mais deux jours après, il me parla ainsi « Gerbier, je désire bien partir avec vous. Quand partez-vous ?... Où allez-vous ?... Partons d’ici… Je vais à Caen et pour mon départ je n'en sais rien, mais si vous voulez venir avec moi réfléchissez et vous me donnerez la réponse demain... Et bien oui, je vous rendrai réponse demain... ».


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    Le lendemain, il vient me rencontrer pour me donner réponse « Je suis tout à fait décidé de partir. Ici je ne gagne rien et voila six mois que Monsieur Bonnneau me promet une place et il ne me place  pas. Ainsi je veux voyager pour me perfectionner. C'en est fini, je pars avec vous... Et bien si vous partez avec moi, il faut prévenir votre patron car nous partons dans quinze jours et il vous faut bien donner quinze jours de prévenance au maître auprès duquel vous avez appris votre état. Quoique vous lui devez que huit jours mais un patron comme Monsieur  Bonneau mérite bien quinze jours de prévenance... ».

    Nous nous sommes séparés d'accord pour le départ. Victor me promets de prévenir le patron dès le lendemain, mais le pauvre garçon n'avait pas la force de l'avertir. Il remit de jours en jours si bien que le samedi arrivé, il n'avait pas encore averti. Je lui monte la tête à ce sujet... C'est ce qui le décida... Il prévient donc et sitôt qu'il eut prévenu, Monsieur Bonneau vient me raconter son départ. Je fis l'étonné pour ne pas éveiller des soupçons car on aurait pu dire que c'était moi qui le soustrayais.

    Toute la semaine suivante, sans avertir Monsieur Bonneau, je raconte que je pars pour Le Mans rejoindre un de mes camarades et à mon logement, je me servis d'un prétexte de dire que j'attendais une lettre pour une place que Monsieur Bonneau me procurait et que si la lettre arrivait, je partais le dimanche. Victor de son côté devait partir chez lui le samedi pour avoir des papiers qu'il lui fallait. Monsieur Bonneau ayant appris mon départ et se voyant deux ouvriers de moins, il montait le coup à Victor en lui promettant cinq francs de plus par mois et Victor, comme on l'a déjà vu, était d'un caractère à se laisser conduire. Il fléchit. Il prit les cinq francs de plus et restait. Il fit tout cela sans me prévenir, d'ailleurs il n'avait pas la force de me dire « Je ne pars pas... ». Il s'attendait bien de ce qui lui aurait revenu. Cependant, depuis deux jours, je remarquais sur sa figure quelque chose qui me disait « Tu partiras seul, il reste... ».

    Le samedi arrive. Je lui dis « Vous ne partez-donc pas chercher des papiers?... Non me dit-il, je ne peux partir que ce soir... Vous ne venez-donc pas avec moi?.. Si, mais nous partirons que lundi... Ah oui, c'est comme ça que vous vous arrangez, mais moi je ne continue pas ça, moi je pars dimanche et non pas lundi... Et bien partez, j'irai vous rejoindre à Caen... ».

    Pendant cette conférence, le frère de Victor étant venu à la foire d'Esnée, vient le voir. Victor sort prendre quelque chose avec lui. A son retour, Victor vient me voir la bouche bâillante comme pour me dire quelque chose. Voila ce qu'il me dit «  Gerbier, c'est impossible que je parte avec vous dimanche... Pourquoi cela?... Parce que mon frère vient me chercher pour que j'aille chez moi pour des arrangements de famille... Vous êtes bien aisé que votre frère soit venu vous chercher pour trouver un biais pour me prévenir que vous ne veniez pas avec moi... Cela ne veut pas dire que je ne viens pas avec vous, j'irai vous rejoindre... Ah par Dieu, vous pouvez bien rester ici tant qu' à voyager avec un sans cœur comme vous, j'aime mieux partir seul, car étant avec vous, j'aurai une charge de plus. Croyez-vous que je ne vois pas que vous restez ici? Vous faites bien du reste plutôt que de me suivre car ce n'est pas un sans-cœur comme cela qu'il me faut à moi, ce sont des personnes décidées et pas des emplâtres comme vous  qui n'avez seulement pas la force  de me dire  j'ai changé d'avis, je me suis arrangé avec le patron et je reste ici.  Qu'avez-vous besoin de chercher à phraser? Qu'est ce que cela me fait à moi, que vous veniez ou que vous ne veniez pas. Au contraire, en restant ici vous me débarrassez d'un fardeau. Allez mon garçon, si vous étiez venu avec moi, je vous aurais fait verser plus d'une fois des larmes, vous qui avez des yeux d'enfant et le cœur d'un poulet... C'est bien pourquoi je ne veux pas aller avec vous car votre manière de n'avoir peur de rien ne me va pas... Pauvre garçon, vous êtes bien libre , est-ce que je vous ais  demandé à me suivre? Non, j'en aurais bien été fâché de vous soustraire de cette maison, de chez un patron si honorable... Non mais vous me parlez toujours du voyage et vous me donnez l'idée du voyage... 

     

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    Malheureux, je voulais votre bonheur et vous ne le comprenez pas. Voyez Monsieur Bonneau qui a voyagé et qui sait travailler. Où il aurait aujourd'hui une petite fortune due à ses capacités?...Je voyagerai plus tard, mais pour le moment je ne peux pas partir... Vous êtes un malheureux, il fallait me le dire plutôt, j'aurai averti mon patron de mes huit jours et non pas me tenir jusqu'au dernier moment. Et maintenant, je suis obligé de partir sans avoir averti. C'est très mal à moi car Monsieur Bonneau a été très bon à mon égard et je vais partir de chez lui comme un malhonnête. Cela ne fait rien, je vous pardonne et pour vous prouver que je veux votre bonheur si vous voulez venir me rejoindre, je vous procurerai de l'ouvrage dans l'endroit où je serai arrêté. Je vous écrirai, je vous le promets, et dans ce cas là vous ferez ce que vous voudrez, venir ou rester... Oui, écrivez-moi quand vous m'aurez trouvé de l'ouvrage, j'irai vous rejoindre... J'aime autant que vous veniez plus tard que de venir maintenant car Monsieur Bonneau gardera moins de rancune envers moi, quoiqu'il pensera toujours que c'était moi  qui vous avais gravé  cette chose dans la tête. Ah, voila midi qui sonne, il faut que j'aille faire viser mon livret, au revoir. Viendrez-vous ce soir me faire la conduite ou demain si je ne peux partir que lundi?... Oui, j'irai avec Raffin et nous boirons le coup d'au revoir ou d'adieu...».

    Nous nous sommes séparés. Moi je fus à mon affaire. Je  fus au bureau de police chercher mon livret et le reste de la journée je mis le temps à profit en faisant mes préparatifs pour partir le lendemain. Sur le soir, il vient une pluie déplorable qui m'annonçait l'impossibilité de partir le dimanche. Cette pluie dura toute la nuit.

    Le lendemain, sur les sept heures, le soleil vient se faire voir mais d'une couleur qui annonçait la pluie. C'était l'heure où je fus chez Monsieur Bonneau pour avoir sa signature. Il me paya quinze jours de travail qu'il me devait. Ceci fait, je lui présente mon livret « Voulez-vous signer mon livret Monsieur?... Mais vous partez donc?... Oui... Mais où allez-vous par un aussi mauvais temps?... Je pars pour Le Mans rejoindre un ami et partir au printemps pour Paris... ». Monsieur Bonneau me regarde d'un air comme pour me reprocher mon départ précipité sans prévenance. Mais Monsieur Bonneau avait de l'esprit et s'en servait. A quoi auraient servi ses morales?... A rien. Il a préféré me montrer un cœur plus sérieux qu'à l'habitude  pour me faire apercevoir que j'aurai du au moins le prévenir de huit jours. Il me prit mon livret mais sans dire une seule parole. C'est ce qui me surpris car ce n'était pas son habitude. Il me signe le suivant:

     

    Je certifie que le nommé Gerbier Jean a travaillé chez moi du 15 août au 18 octobre en qualité de jardinier. Sur lequel je n'ai rien à reprocher sur sa conduite. Libre de tout engagement.

    Bonneau

     

    «  Voilà me dit-il... C'est bien, je vous remercie. Au revoir Monsieur. Je pars de suite... ». Au moment que je disais ces paroles le ciel se couvre et une pluie tombe aussitôt. « Vous aurez beau temps à partir?... Voyez-donc ce temps abominable, ceci ne fait rien, après ce temps viendra un autre. Comme vous le savez, le voyageur n'est pas toujours heureux... ».

    Je pris congé de lui et je fus faire légaliser sa signature. Toujours la pluie tombait. Je résolus donc de ne partir que le lundi. Je passais le reste de la journée sans sortir; que sur le soir que ce fut au café avec mon maître de logement Monsieur Boursier. Chemin faisant, je rencontre Victor qui sortait pour des affaires. Il m'adresse la parole « Nous viendrons dans une heure vous rejoindre Raffin et moi... C'est bien, je vous attends... ». Il ne manque pas de venir et nous prenons les derniers moments de plaisir ensemble.

     

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    Dix heures arrivent. Nous rentrons au logement où tous les logeurs m'estimaient. La table fut bientôt remplie des deux côtés. Il me fallut chanter quelques chansons. La première, j'ai chanté « La Grâce de Dieu » d'un air sentimental. Madame Boursier qui était derrière, pleurait car ceci lui rappelait le départ de sa fille pour Paris. La soirée s'est très bien passée. Chacun se retire. Moi, je fus rejoindre mon lit.

    Le lendemain , je me réveille de bonne heure. J'étais à peine descendu que j'aperçois Raffin qui venait me payer la dernière goutte. Pauvre Raffin, il se sépare de moi avec peine, il aurait voulu que je reste à Ernée. J'ai oublié de dire que ce Raffin, c'était un ouvrier qui travaillait avec moi chez Monsieur Bonneau. Il avait voyagé un peu. Il savait reconnaître les travailleurs honnêtes parmi les communs. Mon logement payé, je me dispose à partir pour Caen en passant par Mayenne.

     

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     Armoiries

     Mayenne (Mayenne) - La Place du Marché, Carte Postale vers 1900

     

    Je confie ma malle à Raffin qui promet de me l'envoyer sitôt ma demande. Je ne prends qu'un petit paquet, mon seul compagnon de voyage avec ma gourde et ma canne. Voilà trois protecteurs qui me valent un fortune dans certains moments. Et puis j'oubliais, mon livret qui me fait passer partout la tête haute.

    Voici la description de la petite ville d'Ernée et ses dépendances. Ernée, département de la Mayenne, n'est qu'un chef-lieu de canton, ce petit endroit où il se fait beaucoup de poiré ou cidre de poire. Le territoire est assez fertile pour le blé et la pomme de terre. On y trouve aussi quantité de marrons(*), ce qui est de grande utilité pour la classe ouvrière qui ne gagne pas assez pour bien se nourrir.

     

    (*) On utilise le terme marron pour désigner une variété de châtaignes qui donne moins de 12% de fruits cloisonnés (l'amande du fruit est séparée en deux par la deuxième peau) et le terme châtaigne pour les variété donnant plus de 12% de fruits cloisonnés. Dans le langage courant, on a tendance à nommer "marron" toute châtaigne de gros calibre, ou à employer ce terme pour les produits issus de la transformation de châtaignes : crème de marrons, marrons glacés... La châtaigne et le marron sont donc le même fruit, à ne pas confondre avec le fruit du marronnier d'Inde des cours d'école qui lui n'est pas comestible.

    Source : http://www.chataigne-ardeche.com

     

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    Elle se verse sur les marrons qui font le quart de leur nourriture d'hiver et pour l'été ce sont des fruits et des légumes qui abondent dans ce pays. On mange très peu de viande et encore c'est du porc. On mange la soupe trois fois par jour.On engraisse des boeufs mais qui ne se mangent guère dans le pays. On trouve encore dans ce pays de l'humanité due à ce que les habitants ont encore cette simplicité que l'on trouve dans quelques contrées de la Bretagne. Ces braves gens se contentent de leur minime salaire et vivent avec cela très contents, sans penser à l'avarice. Voient-ils un étranger qu'ils s'empressent à lui donner l'hospitalité. Ils ne font pas comme certains normands du Calvados. Demandez-leur à loger, ils vous logent mais pas sans savoir si vous avez de l'argent. Vous n'avez pas d'argent... Vous couchez dehors...

    On trouve aussi autour d'Ernée de superbes châteaux. La campagne de la Duchesse de Montmorency  qui se trouve auprès de Saint-Denis à deux lieues d'Ernée(*). Enfin, quantité  de fortunes ont leur région d'été dans ce pays. C'est pourquoi la classe ouvrière ne possède à peu près rien. Il se trouve cependant des gueux enrichis par le commerce, mais ceux-ci ne valent pas le diable. Ils sont déjà sortis de la route de l'humanité.


    « Industrie et commerce, vous nous éloignez du naturel... Belle nature, tu ne fais plus de progrès... ».

     

    (*) Il s'agit du château de Montflaux à Saint-Denis-de-Gastines qui semble  se trouver aujourd'hui en péril.

     

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    Source photo :http://histoire.mayenne.53.free.fr

     

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    1
    bodu
    Dimanche 5 Juin 2011 à 17:55

    Quel caractère cet  ancêtre! quelle leçon de courage! Mais je suis un peu perdu dans les dates . A quel moment était-il en Bretagne? Désolée aussi que ce qui se passe dans le Nord ne soit pas trop expoitable. Encore un grand merci pour ce que tu fais. Micheline

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    ajmlaplace Profil de ajmlaplace
    Dimanche 5 Juin 2011 à 20:06

    Bonsoir  Micheline,

    En effet, Jean Baptiste avait un caractère bien trempé et je peux te dire que ma grand'mère Mathilde, mon oncle Raoul et moi-même en avons peut-être hérité... Nous savons ce que nous voulons et nous ne nous laissons pas "manoeuvrer" facilement. ..C'est pour rire comme dirait Michel Drucker...

    Tu trouveras le voyage en Bretagne dans le livret II au chapitre IX. A ce propos, j'ai placé un  mode d'emploi à la suite  du premer article de '"Bienvenue sur GerbierBlog".

    Pour ce qui est du chapitre relatif à l'arrivée de Jean Baptiste dans le Nord, tout n'est pas perdu. J'en retirerai sans doute des éléments qui nous surprendrons peut-être, car je n'ai pas encore essayé de lire cet épisode..

    Toutes mes amitiés à toi et à Jean.

    Alain



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