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    Voyage en Normandie

    Rencontre d'un bas-normand 


    ACCUEIL

      Le 19 octobre 1857 à six heures du matin, je me mis en route pour Caen. L'horizon était sombre, le ciel couvert. Les nuages laissaient échapper quelques gouttes de pluie. Parmi toutes ces nuances, je marchais avec courage d'un pas rapide comme doit faire le vrai voyageur. Conduite... Courage... Activité... Bravoure... Voilà les quatre principaux devoirs du voyageur. Charmé, je marchais vers Mayenne, sous-préfecture de ce département qui se trouve à sept lieues d'Ernée et à neuf lieues de Laval.

    Je marchais donc vers Mayenne. Un cabriolet vient derrière moi au grand trot. Deux personnes dedans des deux sexes. Passant à côté de moi, la voiture s'arrête et une voix me crie « Voyageur!... Voulez-vous me confier votre baluchon jusqu'à Mayenne?... Je le déposerai à l'octroi où vous pourrez le prendre en passant... Monsieur, trop honnête, je vous remercie il n'est pas très lourd... Ceci ne fait rien, quoique pas lourd, par la longueur du chemin il devient un fardeau. Je pourrai vous prendre vous-même mais je n'ai pas de place. Voyez comme nous sommes pressés avec nos marchandises... Monsieur vous êtes trop bon, je serai fâché de vous nuire, même en vous donnant mon paquet... Non, Non, mon brave garçon, votre paquet ne nous nuira pas le moins du monde. Je fais cela pour vous rendre un petit service que je me plais à rendre aux voyageurs... Monsieur, ce serait vous faire insulte en refusant votre service que vous faites avec un cœur dévoué. Prenez mon paquet!... Bonjour Monsieur, je vous suis très reconnaissant... ».

    Voila encore un homme de ceux qui deviennent rares. Voila ce que j'appelle "humanité". Cet homme faisait ceci de tout cœur, le refuser aurait été lui faire insulte. J'ai donc accepté ce service que j'aurais refusé à tout autre, car je suis de ces hommes qui savent respecter. Demander pour moi, c'est un supplice. Demander à un voiturier de monter, c'est me rabaisser car c'est mendier. J'aime mieux souffrir les blessures de mes pieds, souffrir la fatigue, que de demander un service.

    J'arrive à Mayenne, je pris le paquet où le brave voiturier l'avait déposé. Je traversais cette petite ville. Cependant, l'heure de déjeuner était arrivée. Mais comme mes moyens ne me permettaient pas de déjeuner à l'hôtel, je me suis contenté d'acheter du pain pour faire repas. Le long de la route en traversant cette ville, j'ai remarqué qu'elle faisait un grand commerce de lin et de coton filé qui s'emploient dans la ville même pour serviettes et mouchoirs?

     

    > MÉMOIRES / LIVRET III / CHAPITRE XI

    Fichier:Blason Mayenne.svg

     Mayenne (Mayenne) - Quai Carnot


    Je sors de la ville, marchant vers Caen. Lorsque je fus à une lieue de la ville, il me fallait déjeuner. Un arbre tombé sur le sol va me servir tout à fait de table et de chaise. Ma gourde était presque pleine d'eau de vie et quelques poires étaient dans mon paquet, et puis un petit morceau de fromage que j'avais rapporté d'Ernée. Voila un de ces repas champêtres, repas pour moi délicieux. Je croque avec appétit ce repas qui m'appartenait à moi seul et reprends ensuite ma route le cœur gai, pensant au gîte pour la nuit.


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    J'étais si bien décidé que j'oublie la route que je devais prendre, route que l'on m'avait indiquée, sortant de Mayenne. Je m'arrête à un cantonnier en lui demandant si j'étais bien sur la route la plus directe pour aller à Caen. Il me fit pour réponse que j'étais sur la plus longue, que j'avais passé la vraie à une lieue et celle que je poursuivais me conduirait à Alençon et que je m'éloignais d'un jour de marche au moins. Je lui demande si je ne pouvais pas prendre un chemin qui me conduirait à la route oubliée sans retourner sur mes pas « Oui j'en connais bien un mais vous pourriez vous égarer... N'ayez pas peur, je m'y retrouverai toujours, ayez l'obligeance de m'indiquer... ». Il m'indique le chemin que je poursuis droit comme si je l'avais connu toute ma vie. J'arrive à ma route et pour bien m'assurer que c'était bien elle, je demande à un brave paysan qui me dit que oui.

    J'étais sur ma route, content de cela, mais autre chose me contrariait un peu, c'était le temps qui menaçait un peu de m'arroser, déjà il tombait quelques gouttes de pluie.

    Le soir arrive, la pluie prend force, déjà les toits laissaient échapper leurs égouts. J'arrivais à Passais, petit endroit que l'on trouve à neuf lieues de Mayenne. Là, il me fallait coucher. Je m'adresse d'abord à une espèce d'hôtel. On me répond qu'on ne logeait pas mais on m'indique une auberge à deux pas plus loin  et là je fus reçu avec beaucoup de respect et de politesse.

     

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    Blason Passais.svg

    Passais-la-Conception (Orne) - Place de l'Eglise, Carte postale vers 1900


    J'étais rentré, j'avais déjà déposé mon paquet sur une espèce de commode qui se trouvait à ma portée.  Une brave femme d'un certain âge me présenta un siège auprès du feu. Elle prit place à son tour auprès de moi pour veiller à sa soupe. Cette brave femme m'interrogea  sur ma profession et sur mon voyage, mais lorsque je le lui racontais quelques passages, je voyais son visage s'assombrir et des larmes coulaient de ses yeux. Un instant de silence exista... Mais bientôt, la conversation repris son cours « Vous êtes jardinier me dit-elle... Oui Madame, à votre service... Ah, je connais bien ici une place que je pourrai avoir mais... Mais quoi?... Je crains qu'elle ne vous convienne pas, car c'est une personne assez "braque"... Qu'elle est cette personne dont vous voulez parler?... C'est une comtesse qui demeure ici... Et bien vous dites qu'elle est "braque"... Oui, elle ne garde pas longtemps ses serviteurs, elle chicane à tout moment en faisant leurs services et cependant elle donne bon prix. Madame, je vous remercie du travail de la comtesse, moi je voyage et en voyageant je déteste les gens inhumains. Quoi qu'ils payent cher, ce n'est jamais assez payé, car pour moi je préfère gagner un prix très minime chez des gens modèles qui ne foulent pas au pied leurs inférieurs en fortune. Je dis fortune car pour l'honneur, personne ne peut me dire "tu es mon inférieur". Je  suis au contraire supérieur à eux, moi avec leur fortune. Et moi avec mon seul labeur, voilà ma fortune. Parler morale, faire le bien, rendre service, payer ceux qui me donnent la subsistance, voilà ma fortune à moi. Du reste, la fortune n'est pas vêtue dit le proverbe... Mon cher garçon, vous parlez bien, vous êtes comme mon fils qui est à Paris, il est humain comme vous... Que fait vote fils à Paris Madame?... J'en ai deux Monsieur, l'un est marchand de mercerie et l'autre est soldat... Comment cela se fait que vos  enfants se sont séparés de vous et qu'ils vous ont laissée seule, car je vous crois seule à votre habit. Je crois que vous n'avez plus votre mari. Au moins que vous ayez d'autres enfants ici pour vous soulager dans votre peine?... Mon mari était marchand de poêles et nous faisions de brillantes affaires. Nous avons donné de très bonnes instructions à nos enfants. L'aîné ayant terminé ses classes, son père le fit voyager avec lui pour le mettre au courant des affaires. Il faisait cela à contrecœur car disait-il ce métier ne me va pas, je n'y prends aucun goût. Il avait atteint l'âge de vingt deux ans lorsqu'un jour mon mari est mort presque tout d'un coup.  

     

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    Son père mort, il ne voulut plus continuer le commerce et partit pour Paris. Son frère, âgé de dix huit ans, resta seul avec moi. Le pauvre enfant s'ennuyait. Un jour il me dit, maman je veux m'engager. Je suis instruit, je pourrai parvenir en grade. Je l'ai détourné le plus que j'ai pu mais il me répétait si souvent qu'un jour je l'ai vu partir et moi je restais seule avec ma fille. Cette fille s'est mariée et elle reste ici. Voila tout ce qui me reste comme soutien... Madame, c'est un peu triste de vous voir séparé de vos deux fils mais il reste votre fille auprès de vous. Il faut se consoler du sort de vos fils, ils ont tous deux une belle position. Puisque la destinée ne devait pas vous les laisser, il faut donc prendre ceci comme une permission de Dieu ou plutôt l'effet de l'instruction. La théorie a appris à vos enfants de sortir du naturel. C'est ce qui arrive aujourd'hui. Les enfants abandonnent père et mère, la femme son mari, le mari sa femme, le frère sa sœur, les amis deviennent des ennemis. Plus d'amis aujourd'hui, plus de confiance, plus de regrets, plus d'humanité. Le monde est sorti du naturel pour tomber dans la furie. Enfin Madame, ceci fait des progrès chaque jour, vous en avez la preuve. Si vos enfants n''avaient pas eu la théorie, ils seraient encore auprès de vous... Le dîner est prêt Monsieur, venez vous mettre à table... Très volontiers Madame, j'ai même faim... ».

    Le dîner ne dérangea guère la conversation. Après le dîner, je demande que l'on me montre mon lit pour prendre un peu de repos pour le lendemain. Cependant, je quitte cette brave bonne femme avec regrets. De son côté, elle n'avait pas moins de regrets car il semblait que je lui rappelais ses enfants.

    Le lendemain, mardi 20 octobre, je me suis mis en marche par un temps guère plus favorable que le jour précédent. Une légère pluie tombait déjà et peu de temps après la pluie commença à tomber par torrent. Je me voyais sans abris, pas même une seule maison pour me mettre à couvert. Par bonheur, la nature avait placé un tronc d'arbre élevé sur la pointe de ses racines auquel on pouvait prendre un gîte entre le sol et le culot. Je dépose d'abord mon paquet et puis je m'assois ensuite. Étant dans le nouveau local, je pris une larme d'eau de vie et je mis le feu à mon tabac. Seul, je rêvais, pensant au roman "Robinson Crusoé". Je me voyais rapproché de sa position. Enfin la pluie cessa un peu, je pris une route d'où je gagnais la route d'Alençon et devant moi j'apercevais Domfront. A cette vue, je hâtais la marche pour gagner la ville le plus vite possible pour prendre un peu de repos et déjeuner.

    Il était onze heures lorsque je fus arrivé à Domfront, petite ville de Normandie bâtie sur une hauteur. Elle offre des points de vue charmants. Cette petite ville a tout à fait oublié l'humanité, les habitants sont méfiants, fourbes et n'aiment pas à se rendre service. Ils ne connaissent que l'argent.


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    Blason et armoiries de Domfront

    Dompfront (Orne) - Place et Rue Saint Julien, Carte postale vers 1900


    Dans l'hôtel où j'ai déjeuné, on me suivait de l'œil à tous les gestes que je faisais, comme si ça voulait dire qu'ils craignaient que je parte sans payer. Ils avaient pourtant tort car c'aurait été la première fois. J'aurais préféré manger un des racines de l'arbre qui m'avait servi de gîte que de me faire servir sans argent chez un peuple si peu humain.

    Il était douze heures lorsque je quittais Domfront pour me rendre coucher à Flers qui se trouve à cinq lieues et onze lieues d'où j'avais couché le jour précédent. J'étais déjà sorti de Domfront. Je marchais sur Flers. Après avoir descendu une colline, je me retourne pour voir les environs de cette ville. Quels beaux coups d'œil, je voyais la ville presque sur ma tête. Un rocher forme un rempart couvert de plantes exotiques. En bas de ce rocher se trouve une colline plutôt un ravin. Je dis ravin parce qu'il se trouve un autre rocher escarpé à droite au nord-ouest. Le rocher est à pic à sa pointe extrême et sa base est garnie formant un ermitage.

     

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    J'abandonne ce charmant pays avec regrets pour continuer ma route. Je monte d'abord la côte puis je redescends. Je me trouvais dans un village où coulait une petite rivière, assez fort pour faire tourner un moulin. Je traverse cette rivière. Devant moi se trouvait une côte très à pic. En haut de cette côte se trouvait d'un côté une vallée et de l'autre un ermitage très confus d'où j'entendais le tintement des cloches des animaux domestiques qui passaient. Enfin, cette petite distance de Domfront à Flers laisse apercevoir de riants points de vue qui frappent l'œil du voyageur.

    Si je décrivais tous les délices de ce voyage, cela me prendrait la moitié de cet ouvrage. Mais comme je me borne à donner à la fois ma vie et mon tour de France, je me force à décrire en petit ce dernier qui ne donne pas moins la géographie des pays où je suis passé.

    J'arrive à Flers, le soleil allait se coucher et comme je m'enfonçais dans la ville un jeune homme m'arrête « Vous allez à Condé(*) me dit-il... Oui mon cher... Prenez-vous la voiture?...Non, j'y vais à pieds... Mais savez-vous que vous avez trois lieues et demie et voilà la nuit... Le voyageur ne marche pas toujours le jour... Et bien si vous voulez venir avec moi, je vous prendrai que quinze sous et je pars dans une heure... Et bien soit, je partirai avec vous... ». A ces paroles, le postillon me souleva mon paquet de dessus mon dos et le porta au bureau en disant «Si vous avez besoin de prendre quelque chose, voilà l'hôtel de ma voiture... Oui, mais avant je vais aller me promener un peu... ».


     (*) Aujourd'hui Condé-sur-Noireau, Calvados, Basse-Normandie


    Je fus en effet me promener dans cette charmante petite ville, rare pour son commerce en toile blanche, mouchoir, coutil, flanelle, calicot, coton, en un mot la clé du commerce en Normandie. Il se tient le mercredi un marché pour le commerce pour ce que je viens de décrire, où viennent des acheteurs de tous pays. J'avais encore un quart d'heure avant de partir, je fus chez un boulanger acheter un petit pain et je rentre à l'hôtel pour me faire servir suivant mes moyens. J'avais à peine fini de dîner que le postillon vient m'inviter de monter en voiture.

    Il faisait nuit comme nous quittions Flers pour gagner Condé. Cette petite distance ne me laissa rien apercevoir, seulement je me suis aperçu que nous remontions des côtes très à pic que les chevaux montaient au pas. Arrivés à Condé, la voiture s'arrêta à un petit hôtel où elle avait l'habitude d'arrêter. Lorsque je fus descendu, je pris place à l'hôtel où on me mit coucher avec le postillon dans un presque grenier. Je dis presque mais ce mot est de trop car c'était bien un grenier car il y avait un tas de blé au pied de mon lit. Ceci ne m'empêcha pas de dormir. 

    Le matin, le postillon se lève à bonne heure et moi pas longtemps après. Comme je prenais mes vêtements, je rêvais à la suite de mon voyage, ma bourse déjà épuisée, mes souliers percés, mes pieds blessés à peine je pouvais les glisser dans mes souliers. Réfléchissant ainsi, je jette un regard dans le coin de la chambre et j'aperçois des bas qui avaient déjà servi. Je me disais, je pourrai bien prendre ces bas mais ils ne m'appartiennent pas; cependant je crois que si j'avais ceux-ci dans les pieds, je marcherai une fois mieux. Enfin, j'étais sur la  balance... J'aurai voulu les acheter  mais je comptais ma bourse et j'avais minimement pour faire une route  pour me rendre à Caen et s'il fallait aller plus loin comment  ferai-je, moi qui préfère sécher plutôt que de mendier. Enfin je me dis, j'ai besoin de bas, en voici, je les prends... Je vois que je sors de la ligne d'un honnête homme mais la grande nécessité me commande d'un autre côté. Je les demanderai bien mais dans ce pays là où l'humanité est si rare, ce serait demander du lard à un chien que de leur demander pour rien... Je me suis donc mis les bas aux pieds et je descends de la chambre. Je paye mon hôtesse et me voilà sur la route de Caen.


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    Comme je traversais la ville, je vis une statue sur ma gauche et je m'arrête pour la contempler. A ce moment, un homme qui ouvrait sa boutique jeta les yeux sur moi. Je m'approche de lui « Dites-donc je lui dis, pourriez-vous me donner quelques détails sur la personne que représente cette statue?... Mon cher, cette statue représente Dumont d'Urville(*), ancien amiral natif d'ici... Je vous remercie Monsieur, je connais ce grand homme par l'histoire.  Cet homme, après avoir fait deux fois le tour du globe, après avoir bravé la mort presque certaine, fut tué dans un accident qui eut lieu sur la ligne d'Orléans... Oui, c'est bien ça... ».


    (*) Jules Sébastien César Dumont d’Urville, né à Condé-sur-Noireau le 23 mai 1790 est un explorateur français qui mena de nombreuses expéditions, notamment à bord de l’Astrolabe. Il est mort accidentellement à Meudon le 8 mai 1842 avec sa femme est son fils dans un accident qui constitue la première catastrophe ferroviaire  en  France et l'une des premières dans le monde.

     

    > MÉMOIRES / LIVRET III / CHAPITRE XI

    Armoiries

    Condé-sur-Noireau (Calvados) - Place d'Urville et église Saint-Sauveur

    Carte postale vers 1900, Huchet Edteur, Condé

     

    Je continue ma route. Tout en montant une côte rapidement, il me fallut deux heures pour atteindre le haut. Il faisait un brouillard si épais qu'il était impossible de découvrir  à plus de deux cents  mètres devant moi et lorsque je fus arrivé en haut de cette montagne un ciel pur s'offre à ma vue. Un soleil d'azur qui rayonnait sur le haut des collines et devant moi une masse de brouillard se précipitait entre les rochers qui ne laissaient apercevoir que leur extrémité. Ce spectacle me cause d'abord une surprise car je me croyais bordé par la mer, je n'apercevais pas un seul arbre parmi le brouillard, mais un instant après je me suis dit c'est l'effet des nuages qui se brisent contre  les montagnes pour ensuite retomber en pluie.

    Je continue ma route en marchant vers cette prétendue mer. Bientôt le soleil disparaît et me voilà parmi une rosée très humide.  Une heure après avoir monté une petite côte, j'aperçois le soleil sur la pointe d'un rocher qui se trouvait devant moi. Je descends  cette petite côte et je me trouve sur le bord d'une petite rivière d'une eau très claire. La rivière à ma gauche et une montagne à ma droite se prolongeaient à ne pas en voir la fin. Cette montagne était couverte du haut en bas de plantes et arbres vulgaires. La rivière découverte laissait apercevoir une magnifique prairie qui se prolongeait sur la rive gauche.

    Après une heure et demie de marche, je me trouve sur le haut de cette montagne. Le même soleil éclairait toute la surface de ce charmant spectacle, le même dis-je que j'avais aperçu deux heures auparavant. Étant seul sur ce site pittoresque, je dépose mon petit paquet parterre pour mieux jouir des charmants points de vue qu'offrait ce magnifique tableau du côté sud-ouest. Au pied de cette montagne se trouvait la route sur laquelle j'étais passé, la rivière, la prairie, plus loin une plaine et au lointain un coteau très à pic sur lequel se trouvaient des massifs d'arbres verts et un moulin sur un petit ruisseau entre la prairie et la plaine. Enfin, des braves campagnards par ci par là, occupés à leurs travaux, faisaient les principaux meubles de ce tableau qu'offrait cette belle nature qui frappe le regard du voyageur modèle.


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    J'abandonne ce lieu de délices pour continuer ma route. Bientôt me voilà perdu entre des grands arbres qui bordent la route et plus loin, sur la partie gauche de la montagne, une magnifique propriété s'offrait à ma vue. Devant moi, je voyais le bourg d'Harcourt(*). Il était alors onze heures et je n'avais pas encore pensé à déjeuner. Je n'avais même pas faim tant le voyage m'avait paru charmant. J'aperçois sur mon chemin un petit restaurant. Je rentre « Servez-moi Madame s'il vous plaît à déjeuner... Que voulez-vous manger Monsieur. J'ai u gigot de mouton, des côtelettes, des œufs... Tout cela est bien plus qu'il me faut. Donnez-moi seulement pour vingt cinq centimes de tranche de gigot de mouton avec un oignon et un demi-litre de cidre...». Voilà mon déjeuner. Je fus servi à la minute et en dix minutes j'avais fini. Sitôt fini, je paye l'hôtesse qui me demande de quel côté j'allais. « Je vais à Caen, combien comptez-vous d'ici, croyez-vous que je puisse aller coucher ce soir?... Oh, facilement, vous n'avez que sept lieues et il n'est que onze heures et demie... Croyez-vous Madame que j'ai toutes facilités pour me rendre ce soir. Et bien moi j'ai bien peur de n'arriver que la nuit... Comment, un jeune homme comme vous, vous ne feriez pas sept lieues en huit heures?... C'est bien Madame d'être jeune, mais les jeunes à force de marcher se fatiguent quand même. Savez-vous que voilà le troisième jour que je marche constamment dans un pays si peu favorable que celui que je viens de traverser. Mais si je me fatigue, en échange je rapporte des souvenirs qui valent mieux pour moi que des souliers neufs et voyages en voiture...Vous voyagez donc toujours à pieds?... Pour mieux étudier la nature, pour plus tard faire la différence de chaque pays. Madame je vous salue, voilà midi qui sonne, il faut partir si je veux arriver ce soir à Caen...».


    (*) Aujourd'hui Thury-Harcourt, Calvados, Basse-Normandie.


    Je sortais d'Harcourt lorsque j'aperçus sur ma gauche un château qui me parut digne de remarque. Je me suis arrêté pour contempler ce beau morceau. Au moment que j'étais occupé à fixer ce travail, il passe un homme que j'interrogeais « Dites-donc mon brave, pourriez-vous me dire à qui appartient ce château?... C'est le château du Duc d'Harcourt. Ce château comprend autant d'ouvertures qu'il y a de jours dans l'année... Merci Monsieur...».


    > MÉMOIRES / LIVRET III / CHAPITRE XI

    Blason ville fr Harcourt (Eure).svg

    Le château d'Harcourt (Calvados) - Incendié en 1944 par une formation nazie


    Je poursuis ma route. J'étais en pleine Normandie, des pommiers bordaient la route des deux côtés. Des normands plantaient le colza et des jeunes normandes dans chaque hameau que je passais étaient occupées à la fabrique des dentelles. Elles étaient rassemblées par groupes à l'ombre de cette charmante verdure ou feuillage que procure notre riante campagne. Dessous un bonnet de coton blanc, paressaient de belles figures fraîches, innocentes. Vraies plantes de la nature que nos filles de la campagne, surtout les normandes qui doivent être mises en premier dans les styles de la belle nature.

    Enfin j'arrive à Caen. Il faisait nuit. Déjà les réverbères étaient allumés. Je m'enfonce dans la ville, poursuivant la rue où j'étais entré. Bientôt je me trouve dans une belle rue de commerces. Je continue cette dernière. J'aperçois sur ma droite « Ici on loge». Je rentre sans hésiter en demandant un gîte pour la nuit. Une dame vient me voir « Asseyez-vous dit-elle, voulez-vous dîner?... Oui Madame, de suite s'il vous plaît...». Je fus servi à l'instant et après le dîner je fus dans la cuisine demander mon lit et mon compte. A cette demande, l'hôtesse me dit « Oui votre lit est prêt mais avez-vous des papiers?... Madame on ne voyage pas sans papiers, les voilà...». Tout en disant ceci je tire de ma poche mon livret que je lui présente « Voilà Madame ma conduite, lisez!...». Elle prit lecture de mon livret et me dit « Vous êtes jardinier?... Oui Madame, à votre service... Vous venez ici pour travailler?... Oui, s'il y a moyen... Oh, je pense que vous trouverez... Vous croyez? Et bien nous verrons demain. Montrez-moi s'il vous plaît mon lit car j'ai besoin de repos...». Aussitôt elle me fit accompagner par la domestique dans une chambre où il y avait plus de sept à huit lits, puis elle prit congé après m'avoir montré celui qui était désigné pour moi.


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