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    Enfin l'heure du déjeuner arrive, je pars sans avoir contenté ma première idée. Le soir, je me retrouve encore dans la même position et toujours deux idées. L'une de prendre et l'autre de laisser. Mais comme le mal est supérieur au bien, je suis la première en glissant dans ma ceinture de pantalon deux souliers, non pas les meilleurs mais les plus fatigués et puis je sors comme pour aller dîner et je dépose les souliers dans ma chambre.

    Le  dimanche suivant je les mets aux pieds mais je n'osais pas sortir tant que je me voyais fautif. J'aurais voulu voir les souliers à cent lieues de moi. Voyez lecteurs comme le remord d'une faute conduit l'homme dans l'inquiétude. Suis-je honnête, je ne crains rien, je lève la tête... Suis-je voleur, je crains tout si je vois la police, je crois qu'elle me cherche, je fuis... Soyons honnêtes et nous passerons partout, détournons les mauvaises pensées qui nous enlèvent la liberté, le plaisir et la bonne foi... Pour moi je voyais bien que je faisais mal, mais je ne pus combattre le mal car je trouvais une cause en la nécessité. Certainement, la nécessité est beaucoup mais elle ne permet pas de faire le mal...

    Quelques jours après je fus tailler dans un jardin où j'étais seul. Il y avait dans ce jardin un caveau rempli de bouteilles de vin que j'apercevais par une légère ouverture. Je cherchais le moyen de soustraire quelques unes de ces bouteilles et, comme le malfaiteur toujours le moyen de faire le mal, j'eus bientôt trouvé ce moyen. Je pris une gaule au bout de laquelle j'ajustais une corde à nœud coulant bien ciré avec du savon. Je glisse la gaule par l'ouverture et la corde fut bientôt prendre le goulot des bouteilles que je tirais à moi comme un poisson pris à un filet. Cinq à six bouteilles furent soustraites de la sorte que je transportais dans ma chambre à l'heure du repas pour me servir au besoin.

    Les travaux de ce jardin se terminent. Le propriétaire avait vendu ce jardin, c'est ce qui le força à transporter son vin chez lui en ville. Monsieur Le Cornu fut chargé de ce transport et moi pour l'aider.  Le dernier jour de mon travail dans ce jardin, je résolus de venir la nuit dans une maison qui se trouvait au bout du jardin, où il y avait encore quelques ustensiles de cuisine et du bois laissés par le propriétaire. Et bien je résolus dis-je, de venir la nuit faire ma cuisine dans cette maison inhabitée. Il m'était facile puisque je gardais la clé du jardin et la maison ne fermait pas, elle était abandonnée. Je me disais « Là je ferai une bonne cuisine de mouton comme on fait dans la Saintonge et pas souvent d'autres fritures... ». En effet, depuis que j'étais à Caen,  je ne vivais que de fruits, fromage et pâté de cochon, excepté le dimanche que je mangeais une portion de vint cinq centimes, mais les autres jours je ne mangeais de chaud que la soupe une fois par jour. Les lecteurs me demanderont pourquoi je ne mangeais pas plus souvent de viande et pourquoi je ne mangeais pas plus souvent chaud, et pourquoi je ne me nourrissais pas mieux ?... Mais je vais vous dire pourquoi...

    Je ne gagnais qu'un prix très minime et il faisait très cher à vivre. Dans ce pays là, si je m'étais nourri comme on doit, je n'aurais pas pu mettre d'argent de côté pour partir au printemps. Ce jour que j'attendais avec tant de plaisir pour me sortir de pays d'avares.


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    Le soir arrive. Je fus acheter un peu de viande et je me rends à la maison en question. J'allume une chandelle que j'avais eu le soin de me procurer. J'allume le feu et je me mis en mesure pour la cuisine. Voilà, en moins d'une heure tout fut bâclé. J'éteins le feu, je mets tout à sa place et je pars avec ma cuisine dans un petit pot que j'avais trouvé sous ma main dans cette maison.

    Je rentre dans ma chambre où je dépose ma cuisine et je repris mes lectures habituelles.

    Le lendemain nos fûmes appelés pour transporter le vin du petit caveau. Pour moi qui me sentais fautif, cette demande me fit un effet car je savais que j'avais renversé parterre quelques bouteilles en m'appropriant les autres. Je me disais « Si l'on accuse quelqu'un, ce sera moi puisqu'il n'y avait que moi qui avait régné dans ce jardin, comment pourraient' ils en accuser un autre ?...». Enfin mille chimères sont venues me reprocher une faute que j'avais commise avec toutes les volontés possibles. Mais je me disais d'un autre côté «Comment pourraient' ils savoir que c'était moi puisqu'il n'y avait pas de preuve ?... On dira que c'était moi le voleur, je soutiendrai le contraire et on accusera que les rats du reste...».

    En effet, nous fîmes le déménagement et le propriétaire qui se trouvait avec nous fut d'abord surpris de voir plusieurs bouteilles tombées, cassées, mais il se disait que c'étaient les rats qui étaient cause de cette perte... Tout fut mieux que je ne l'avais pensé. Nous fûmes reçus à la table du propriétaire et deux francs me furent glissés dans la main le deuxième jour.

    J'approchais de mon départ de jour en jour. Je n'avais plus que trois semaines à rester à Caen. Colette devait venir avec moi. Un soir que nous étions sous le passage Caliret, Colette avait pour camarade un nommé Préménil, ouvrier jardinier travaillant dans le même quartier que lui. Ce soir là il se trouvait avec Colette comme pour faire un tour de promenade ensemble. Pour moi, je ne connaissais nullement Préménil, mais ce soir là je pus converser avec comme étant l'ami de mon collègue.


    > MÉMOIRES / LIVRET III / CHAPITRE XI / (SUITE 2)

    Armoiries

    Caen (Calvados) - Place Saint-Pierre - Carte postale vers 1900


    Le lendemain soir, je retrouve Préménil se promenant seul dans le même endroit. Cette rencontre de la veille me força de lui parler. Je l'accoste, il s'arrête, et nous voilà faire la promenade à deux. Cette promenade amena la conversation qui se prolongea jusqu'à l'heure de rentrer. Nous partons tous les deux, suivant la rue Saint-Pierre qui conduit à la place Saint-Pierre et lorsque nous fûmes arrivés à la place où il fallait nous séparer j'engage ma nouvelle connaissance à prendre un café, mais celle-ci me remercie en disant  que l'heure de rentrer était arrivée. « Comment mon cher, il n'est que huit heures. Vous vous couchez donc bien à bonne heure. Ce n'est pas positivement cela mais autre chose... C'est parce que ce soir je suis sorti sans prendre un seul sou... Cela ne vous occupe pas, venez à ce petit café du débit de tabac. Pour moi je suis bien aisé de faire connaissance, surtout de ma profession... Et bien puisqu'il vous fait plaisir de payer un café, allons où il vous plaira... ».

    Nous partons tous les deux à l'endroit désigné où Colette et moi faisons nos rassemblements. Arrivés là, nous buvons un demi-café mais bien arrosé d'eau de vie. Cela prit, la parole commença à venir à Préménil qui avait parlé froidement jusqu'alors. Il commença à me dire qu'il voulait partir de Caen dans un mois ou deux. « C'est trop tard mon cher je lui dis, moi aussi je veux partir mais dans quinze jours d'ici. Et encore, je crois partir trop tard. Si ce n'est qu'il a fait du mauvais temps dans le mois précédent, je serais parti maintenant mais comme ce mauvais temps a pu mettre les travaux en retard, je crois que le quinze de ce mois il sera encore temps de partir... Ah, vous partez aussi... Mais où allez-vous ?... Ma foi je pars d'abord pour le Havre et ensuite Rouen puis Lille... Vous me dites que vous  partez le quinze de ce mois... Oui... Mais je partirai bien avec vous... Si vous voulez mon cher, nous ferons la route ensemble et si vous voulez me suivre dans mon voyage cela me fera plaisir d'avoir un compagnon... Et bien, à dimanche, je vous rendrai réponse... À dimanche soir, je vous attends sous le passage à  sept heures... ».

    Après ces dernières paroles, nous nous sommes retirés chacun chez nous ou chacun dans notre gîte.


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    Le dimanche arrive, je me rends au rendez-vous et je rencontre Colette en premier. Il me parle de nouveau de son départ et me dit qu'il voulait à tout prix partir avec moi. Je l'applaudis de sa fidélité à mon égard. Comme nous parcourions le passage, nous fîmes rencontre de Préménil. Celui-ci prit place à côté de moi pour faire promenade ensemble.

    Quelques minutes se passèrent sans aucune conversation particulière. Nous étions un de trop car j'avais défendu à l'un et à l'autre de parler de notre départ à personne que lorsque ce serait positif ou peu de temps avant le départ. J'avais moi-même gardé le secret à l'un et à l'autre. Cela faisait qu'ils ne se confiaient rien. Quoiqu'étant camarades, je savais leur manière d'agir jusqu'alors.

    Enfin Colette pris congé de nous et cela fit que Préménil eut toutes facilités de me confier sa dernière idée de me suivre en me disant qu'il était bien décidé. « Et bien mon cher je lui dis, il faut dans ce cas avertir votre patron de suite car nous partirons dans quinze jours. Pour moi, dès demain, je préviens Monsieur Le Cornu et je vous conseille de faire de même... Oui dit-il, je vais aussi prévenir le mien et mercredi nous nous reverrons ici pour conclure l'affaire... ».

    Nous nous sommes séparés d'accord.

    Pour moi,  tous les soirs, je me rendais au passage pour ma distraction. Ensuite pour m'assurer de mes deux compagnons de voyage par le moyen de leurs camarades que je connaissais. Je m'informais sur tous les points pour savoir si j'aurai des compagnons fidèles à leurs paroles.

    Ce fut un soir que l'on m'apprit  que Préménil ne partirait pas si son patron voulait lui donner cinq francs de plus par mois. En effet, Préménil avait confié son départ à quelques uns de ses camarades. Je connu ce soir là que Préménil avait quelque chose de faux chez lui. Enfin je me disais « Peu m'importe, je n'ai pas besoin de compagnon pour voyager... ».

    Le mercredi arrive. Préménil m'apprit qu'il partait positivement. Colette de son côté me promit qu'il persisterait à partir en forçant son patron à lui laisser la liberté. Ce fut ce soir là que je racontais à Colette que Préménil venait aussi avec moi. Colette un peu surpris me répond « Que ferez-vous d'un dégourdi comme Préménil ?... Ma foi j'en ferai ce que je pourrai. Le fait est qu'il vient avec moi et si vous venez aussi, nous serons trois... ». Pour moi, je ne confiais à Préménil le départ de Colette que trois jours avant le départ, de peur que le blasphème ne se répande jusqu'aux oreilles du patron de Colette et qu'il mette empêchement à son départ. Colette de son côté n'avait prévenu son patron que faiblement.

    Enfin le départ approche, Préménil et moi toujours d'accord. Colette vient l'avant-veille du départ pour partager notre dernière promenade du soir dans cette ville. Je lui demande où en était son affaire. Il me répons que le lendemain il serait libre et qu'il viendrait nous rencontrer pour fêter le départ ensemble. La soirée se passe, Préménil vient coucher avec moi à seule fin d'être d'accord avec moi pour le lendemain.


    > MÉMOIRES / LIVRET III / CHAPITRE XI / (SUITE 2)

    Armoiries

    Caen (Calvados) - Rue Saint-Jean - Carte postale vers 1900


    Le lendemain, nous nous préparons pour partir à deux heures pour le bateau à vapeur. Le matin nous fûmes à la police pour le visa de nos papiers mais il était trop à bonne heure. On nous dit de revenir à onze heures. Cette petite vacance nous donna le temps de faire une nouvelle promenade en ville. Nous nous dirigeons par la rue Saint-Jean. Nous avions à peine fait vingt pas dans la rue que nous rencontrons Colette rouge de colère. « Et bien comment, vous n'êtes pas venu ce matin ?... Impossible car je suis en affaire avec mon patron et aujourd'hui midi je vais devant les Prud'hommes... Comme cela vous ne pourrez pas partir aujourd'hui ?... Demain j'irai vous rejoindre au Havre... Et bien c'est entendu, nous vous attendrons sur le quai... ».


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    Nous nous sommes séparés en nous disant au revoir. Préménil et moi fûmes de nouveau à la police, et cette fois ci il était l'heure. Plusieurs personnes étaient venues pour la même chose que nous. Sitôt arrivés on nous distribua nos livrets. Plusieurs personnes étaient venues pour la même chose que nous. Sitôt arrivés on nous distribua nos livrets. Je pris le mien et je regarde le visa mais je ne vois que la légalisation de la signature de Monsieur le Cornu. Je fis un moment de silence et je leur dit « Mais j'avais demandé d'être visé pour Lille... On ne peut pas vous viser pour un autre département que d'après la vue d'un certificat qui atteste que vous êtes libéré du service... Mais voila la première nouvelle, mon livret est passé plus de dix fois entre les mains de la police depuis que je suis libre du service et on ne m'a jamais demandé de certificat. La loi n'est dons pas partout la même ?... La loi est la même et si la  police a toléré, nous ne tolérerons pas d'autant plus. Allez parler au Commissaire central...».

     

    Je fus donc, suivi de Préménil, parler au Commissaire central. Celui-ci me couvrait de ses regards perçants. Je m'approche et lui raconte mon affaire, mais il me répond que la loi défend de viser aucun papier pour un autre département à tout individu qui ne peut pas prouver qu'il est libéré du service. Je voulus faire encore quelques observations mais je ne fus pas écouté. Je me retire donc en disant « Si la police m'arrête, j'aurai recours à vous... Oui, oui, faites, ils nous écrirons et nous répondrons ce que nous venons de vous dire...». Je sors furieux de n'avoir pas mon livret en règle et je dis à Préménil « Allons parler au Préfet et nous saurons si c'est la loi d'aujourd'hui...». Je fus donc à la préfecture qui se trouve à côté du bureau de police. Je m'adresse au concierge en lui demandant à parler au Préfet. Il me répond que le Préfet était sorti. « Comment il est sorti, vous dites vrai ?... Oui je dis vrai, que lui voulez-vous donc ?... C'est pour mes papiers que l'on ne veut pas me viser... Venez par ici... ». Je le suis dans un grand corridor, puis il ouvre la porte de la chambre du commissaire où j'étais déjà entré. Le commissaire devient furieux et Préménil me fait signe de partir. Je suis donc son conseil car je voyais que la chose se serait mal passée pour la suite. Nous suivons notre introducteur qui me menaçait de dire que j'étais une mauvaise tête, qu'il fallait parler à ces Messieurs avec politesse et qu'ils m'auraient signé mon livret. « Que diable votre politesse, je leur parle avec respect et ils me payent de mauvaise raison. D'autant plus que je n'ai pas besoin de me mettre à genoux pour obtenir une chose que l'on me doit... Allons, allons, sortez, vous m'avez l'air d'un malhonnête... C'et vous qui êtes malhonnête, vous appelez mauvaise tête un homme qui ne craint pas son rival pour être honnête envers ceux qui le sont envers lui... ».


    > MÉMOIRES / LIVRET III / CHAPITRE XI / (SUITE 2)

    Armoiries

    Caen (Calvados) - La Préfecture - Carte postale vers 1900


    Nous sortons de ce lieu pour aller dire le dernier adieu à Monsieur Le Cornu et pour aller prendre le bateau. Notre démarche fut inutile, Monsieur Le Cornu ne s'y trouvait pas. Nous ne trouvons que sa belle-sœur chez qui je prenais ma pension. Celle-ci me combla d'honnêteté et elle me fit promettre de lui faire savoir de mes nouvelles lorsque j'écrirai à son beau-frère Monsieur Le Cornu.

    Nos adieux faits, nous nous dirigeons vers le port pour prendre le bateau.

    Voila le certificat de Monsieur Le Cornu :

     

    Je soussigné et nom écrit, je certifie que le sieur Jean Gerbier a travaillé chez moi en qualité d'ouvrier jardinier depuis le 8 octobre 1857 jusqu'au 20 mars 1858. Pendant ce temps là, je n'ai rien à lui reprocher tant sur sa conduite que sur son travail, se conduisant comme un sujet distingué.

     

    En foi de quoi je lui ai délivré le présent certificat, libre de tout.

     

    Monsieur Le Cornu


    > MÉMOIRES / LIVRET III / CHAPITRE XI / (SUITE 2)

     

    > MÉMOIRES / LIVRET III / CHAPITRE XI / (SUITE 2)

    Armoiries

    Gravures de l'inauguration du canal le 23 mai 1857 (Collection Riby) qui relie le port de Caen à la Manche

    Source :  http://projetbabel.org/fluvial/rica_caen-canal.htm

     

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    Je dois, avant de partir de cette ville, donner quelques descriptions sur ce qui regarde Caen et ses alentours.

    La ville de Caen, capitale de la Normandie, possède quatre églises principales:

    - Saint-Pierre qui est la cathédrale. Cette église est d'une sculpture magnifique à l'extérieur et richement ornée dans son intérieur. La flèche du clocher est d'une élévation remarquable. L'église  est ornée en décors des deux côtés de sculptures antiques, les corps naturels des temps les plus reculés. Ces sculptures s'en détachent en forme de stalles et donnent facilité de faire le tour de l'église parmi sept corps immobiles.


    Caen (Calvados) - Église Saint-Pierre

    Source : Ministère de la Culture - Médiathèque de l'architecture et du Patrimoine


    - Saint-Jean, donnant à la rue de ce nom, possède aussi des sculptures, mais gravées dans les murs de la flèche, mais l'intérieur de cette dernière est encore plus richement ornée que la précédente.


    Caen (Cavados) - Église Saint-Jean

    Source : Ministère de la Culture - Médiathèque de l'architecture et du Patrimoine


    - L'abbaye aux hommes, bâtie par Guillaume le Conquérant. Cette vaste église ne possède que du temps moderne. Elle est d'une longueur extraordinaire. Étant à une extrémité, à peine peut-on comprendre le sermon du pasteur qui se trouve cependant presque au milieu de l'église. Elle est neuve dans son ancienneté, mais elle offre un beau coup d'œil aux décors, mais cependant elle est masquée par un magnifique collège. Elle donne à l'est de la rue de Bayeux où se trouve une colonne qui fut placée à la rentrée de Louis XVIII.


    Caen (Cavados) - Abbaye aux Hommes 

    Source : Ministère de la Culture - Médiathèque de l'architecture et du Patrimoine


    - L'abbaye aux dames, bâtie par la femme de Guillaume (*). Cette église se trouve à gauche d'un canal qui communique à la mer. Elle est sur une hauteur d'où l'on découvre quelques points de vue. À côté se trouve l'hôpital et un beau jardin conduit par un jardinier zélé fait la beauté de cette dernière. Il y a aussi une petite église qui donne sur la rue Froide où fut portée la femme de Guillaume après sa mort. On y voit encore son tombeau aujourd'hui. Cette rue a pris de nom  de « Rue Froide »  à cause de l'atrocité de Guillaume pour un faux rapport d'un de ses officiers qui lui dit que sa femme était infidèle. Celui-ci l'attacha à la queue de son cheval et la traîna partout dans la ville pour servir d'exemple aux autres femmes. Assignée à cette rue qui porte aujourd'hui ce nom de « Rue Froide », la malheureuse allait rendre le dernier soupir lorsqu'elle s'écria « Ciel, je suis glacée, qu'ai-je fait pour être si maltraitée!... ». À ces dernières paroles, elle expira. Guillaume reconnu plus tard qu'il avait fait une injustice. Il fit détruire le porteur du faux témoignage, mais à quoi cela servit-il de se faire connaître comme un homme qui fait justice avant que de juger... Le monument de ce grand homme se trouve à Falaise qui se trouve à dix lieues de Caen.


    Caen (Cavados) - Abbaye aux Dames

     Source : Ministère de la Culture - Médiathèque de l'architecture et du Patrimoine

    (*) La Reine Mathilde

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    On trouve aussi le monument de Louis XVIII sur la Place Royale, la seule place remarquable qui soit à Caen.

    Caen possède aussi un château-fort très vaste. Le théâtre de cette ville est assez bien et le palais de justice, morceau tout neuf.

    A trois lieues de cette ville se trouve la Délivrande (*) où les habitants vont en pèlerinage. D'après eux, ils obtiennent des grâces de la divinité. Sur la route, de distance en distance, on trouve des petites chapelles qui renferment le Christ et sa mère. Des signes de croix sont adressés à ces morceaux de plâtre par les habitants qui suivent leur religion.

    La mer qui se trouve à trois lieues est très redoutable. Elle possède des rochers à fleur d'eau et découverts. C'est dans cette contrée qu'un navire espagnol fit naufrage. Le navire s'appelait  « Salvador » et c'est de là que vient le nom de ce département qui porte aujourd'hui le nom de « Calvados » (**).

    Il est fabriqué dans cette ville quantité de dentelle. J'ai entendu dire d'un maître dentelier qu'il y avait à Caen et ses dépendances dix mille ouvrières en dentelle. Il se fabrique aussi des bas à la mécanique.

    Les habitants de ce pays sont très ingrats envers les étrangers. Ils ont oublié toute humanité. Ils vivent chacun chez eux sans fraterniser ensemble. Du reste, ils travaillent beaucoup et dans les campagnes, l'agriculture est portée au plus haut degré. Ils ne connaissent d'autre boisson que le cidre qui est du reste une très bonne boisson. Ils mangent  du pain très blanc et ferme, travaillé de manière à ce qu'il imite du gâteau. Le boulanger se sert d'une perche qui est emmanchée dans le genre d'une presse sous laquelle ils mettent leur pâte pour la travailler.

    Les normands boivent beaucoup. Deux litres de cidre ne font pas peur à certains normands à leur dîner. La viande est favorite, aussi voit-on des boucheries ornées comme on ne voit guère dans toute autre ville.

    Leur cidre se fait de cette manière: Ils ont aménagé un genre de manège à huile, seulement il est à terre. Deux petits murs d'un pied de hauteur, à un pied de distance. Dans le milieu se trouvent l'arbre et le timon où sont attelés les chevaux. Cette roue roule debout entre les deux murs où sont les pommes et derrière suit un râteau pour égaliser les pommes derrière la roue. Les pommes broyées, on monte en place par couches, sur un pressoir à faisselle.  Le marc se monte par couches de quatre pouces de hauteur. Un panier de paille recouvre chaque lit et ainsi de suite jusqu'à la hauteur de quatre pieds. Le marc monté, on le recouvre de madriers et ensuite on le presse comme le vin et devient clair comme du vin blanc.

    Voilà pour toute description du Calvados.

     

    > MÉMOIRES / LIVRET III / CHAPITRE XI / (SUITE 2)

    Broyeur et pressoir à cidre

     Source : Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers

     

    (*) Aujourd'hui Douvres-la-Délivrande

    (**) L'origine du nom "Calvados" est hypothétique. On a longtemps cru que c'était un mot espagnol rappelant le naufrage d'un bateau, le San Salvador, de l'invincible Armada en 1588. Cette tradition a eu beaucoup de succès puisqu'on a même désigné le bras de mer entre la côte et le rocher par "fosse d'Espagne". Le professeur de linguistique René Lepelley apporte une autre explication. L'étymologie du nom serait calva-dorsa, c'est à dire les dos ou les hauteurs (dorsa) chauves ou dénudées (calva). Toutefois, toujours selon le professeur, le mot ne désignait pas à l'origine le rocher mais un secteur de la côte dépourvu d'arbustes. En effet, on peut voir sur une certe du XVIIe siècle que Calvados désignait deux portions de la falaise qui s'étendait sur 17 km entre Sainte-Honorine-des-Pertes et Saint-Côme-de Fresné. Par extension, l'appellation de ce secteur côtier s'est transmise au rocher du large. Source : Wikipédia.


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    Le 22 mars 1858, nous prenons le vapeur pour le Havre. La marée était basse et lorsque nous fûmes avancés à un demi-kilomètre, nous restâmes échoués sur le sable. Le capitaine fit faire la manœuvre, mais inutile. Il fallut attendre près d'une heure la marée montante. Elle nous donna la possibilité de continuer notre route. Nous fîmes à peu près trois lieues sans arrêter et nous rencontrâmes dans un coude le vapeur qui venait du Havre, qui était échoué. Les deux capitaines, par un signal, se lancèrent des cordages dont un était amarré à notre navire. Par un effort de vapeur, le vapeur du Havre repris sa route et nous restâmes à notre tour échoués. Mais comme la marée pousse son reflux, nous ne restâmes pas longtemps. Enfin, après quatre lieues de canal, nous arrivons à la mer. Elle était mauvaise et le vent donna lieu à une mauvaise traversée. Moi, je fis quelques temps la promenade sur le pont, mais bientôt je sentis comme un bouleversement de bile qui me faisait perdre l'équilibre. J'invite Préménil à descendre dans la cale pour prendre  une larme d'eau de vie que j'avais eue le soin d'embarquer avec moi dans une gourde.

    Nous descendons et nous nous mettons à table mais pour moi, je voyais tout tourner autour de moi et je voyais par ci par là des voyageurs tomber comme morts, rendant tout ce qu'ils avaient dans leur corps. Ce spectacle me fit monter sur le pont mais lorsque je fus monté, je me mis à chanceler comme un homme ivre. Je fus assez adroit pour attraper  la cheminée de la machine et je me suis couché sur des bagages où je suis resté jusqu'au Havre sans donner un seul coup d'œil sur la mer. Préménil, s'approche de moi, comme pour me railler car lui il connaissait cette maladie qui n'avait aucune prise sur lui. Arrivé dans l'entre-port du Havre, je sentis comme par enchantement mon mal se dissiper. J'ouvre les yeux et je vois Le Havre. Nous étions arrivés.

    Il y avait sur ce navire un voyageur qui avait fait la traversée avec nous depuis Caen. Ce voyageur habitait Le Havre depuis quelques années et il connaissait parfaitement la ville.  Il nous demanda si nous avions un hôtel pour descendre. « Pas du tout mon cher, c'est la première fois que nous venons dans cette ville... Et bien, si vous voulez venir à mon hôtel, vous serez très bien... Ma foi, autant là  comme ailleurs puisque vous nous assurez que nous serons bien !...».

    Nous suivons donc notre conducteur à son hôtel où nous nous fîmes servir à diner. Pour moi, le dîner fut court car la traversée m'avait enlevé l'appétit. Après ce dîner, nous fîmes, avec notre conducteur, faire un tour en ville. Celui-ci nous montra tout ce qu'il y avait de remarquable sur notre promenade. La soirée se passa ainsi.

    Le lendemain, Préménil et moi fûmes chercher de l'ouvrage chez les patrons. Le premier chez qui nous nous sommes adressés nous promis de l'ouvrage pour l'un. Il ne nous restait donc plus qu'à chercher pour l'autre. Nous suivons la même rue et à deux cents mètres plus avant, nous rentrons dans une culture. Le patron vient à notre rencontre. Je m'adresse à lui et il me pose quelques questions. Puis il me dit de venir travailler le lendemain.

    Nous voilà donc tous les deux placés. Il ne nous reste plus qu'à chercher un logement à proximité à tous les deux. Nous cherchons de droite et de gauche et nous demandons dans plusieurs endroits mais nous ne trouvons pas notre affaire. En dernier ressort, nous rentrons dans un cabaret pour la même chose. La dame du cabaret nous montra avec la main la demeure d'un nommé Chevalier qui avait plusieurs chambres à louer. Nous fûmes nous adresser et de suite une demoiselle vient nous montrer un cabinet assez convenable pour deux. Nous demandons le prix et nous tombons d'accord. Nous partons en lui disant que nous viendrons l'habiter dès le soir même.

    Nous retournons à notre hôtel pour pendre nos malles et nous prîmes l'omnibus avec nos bagages pour nous rendre à notre nouvelle demeure. Le reste de la soirée s'est passée à faire nos prévisions pour le lendemain. Le soir arrive, nous fûmes rejoindre notre cabinet.

    Le lendemain, nous fûmes chacun chez notre patron. Pour moi, je trouve un homme humain qui savait vivre, un ancien voyageur. Cet homme me reçu avec douceur et me mit à l'ouvrage. Pour Préménil, ce ne fut pas de même, il ne trouva qu'un homme fier, inhumain, plutôt barbare.

    La semaine se passa ainsi. Préménil me confia qu'il voulait changer de patron. Je lui conseille de se procurer de l'ouvrage avant de débaucher. De mon côté, je m'emploie pour lui, si bien qu'un jour où j'étais au marché des fleurs, Madame Huet la femme  de mon patron, me dit que le jardin public cherchait des ouvriers à bon prix. Le soir j'en parle à Préménil qui me répond qu'il avait promis à un patron à raison de deux francs cinquante par jour. Je lui dis « Maintenant, vois ce que tu as à faire, mais je te conseille d'aller au jardin public où tu gagneras trois francs...». Il me crut sans trop balancer.

     

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    À TRÈS BIENTÔT POUR LA SUITE ET LA FIN

    DES MÉMOIRES DE JEAN BAPTISTE GERBIER...

     

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